par Seyfeddine Ben Mansour
Modes ottomanes : la gravure de l’Orient au Siècle des Lumières. Présentée à la Bibliothèque Louis Aragon de Amiens, elle est organisée autour du célèbre recueil Ferriol — Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant
— commandé au peintre Jean-Baptiste Vanmour par le comte Charles de
Ferriol, ambassadeur auprès de la Sublime Porte de 1699 à 1711.
L’ouvrage comporte 99 gravures de personnages ottomans, présentés dans
leur quotidien, et illustrant la diversité ethnique, sociale et
religieuse de l’Empire, objet de fascination pour le commanditaire, et
bientôt pour toute l’Europe : Turcs, Grecs, Arméniens, artisans,
derviches se succèdent ainsi dans des mises en scène soignées, mais
aussi officiers du sérail, ministres et couple impérial en habits de
cérémonie, tous représentés avec un luxe de détails… Le raffinement du
plus grand empire d’Europe était connu dès le XIVe siècle, notamment à
travers l’importation des tapis, produits de luxe par excellence. Le roi
Henri VIII d’Angleterre (1491-1547) s’enorgueillissait ainsi d’en
posséder plusieurs centaines. Mais c’est au XVIIe siècle que naîtra
véritablement la mode des turqueries, des «objets, compositions
artistiques ou littéraires d’origine, de goût ou d’inspiration turque»
selon le Petit Robert.
Un usage réservé à l’aristocratie de cour
On parlerait aujourd’hui de turcomania. Elle se poursuivra jusqu’à la
fin du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que, l’Empire ne constituant plus une
menace, et n’exerçant plus d’attrait, la turquerie se fondera dans
l’orientalisme d’un Occident conquérant. A l’Ouverture de L’Enlèvement au sérail de Mozart succédera ainsi la pesante Marche marocaine de Berlioz.
La fascination pour le raffinement ottoman naît au sein de la cour du
jeune Louis XIV. En 1669, le prince, qui ne règne que depuis huit
années, reçoit Soliman Agha, gentilhomme ottoman qui n’est qu’un simple
courrier, et que le roi prend pour un ambassadeur. Le jeune Louis est
déterminé à éblouir son hôte, et, en quête de reconnaissance, se met en
frais d’employer les usages ottomans qu’il ignore. «Il m’envoya
chercher, raconte dans ses Mémoires le chevalier d’Arvieux,
afin de s’informer de la manière dont les Grands-Vizirs donnent audience
aux ministres étrangers et comme il voulait les imiter, il me chargea
de faire tout préparer dans ses offices […]». On fit donc construire des
estrades, des divans à la turque, des tabourets orientaux. On prépara
des sorbets, et on servit de cette boisson nouvelle appelée «café»… La
turcomania, quoique déjà réelle, ne sortait pas du cadre, oisif et
raffiné, de l’aristocratie de cour. Le recueil Ferriol lui donnera une
extension européenne en donnant naissance à l’illustration viatique,
à «l’imagerie qui fait voyager». L’ouvrage est réédité plusieurs fois
entre 1712 et 1764. La turcomania s’empare des arts décoratifs, comme
des usages : les objets ouvragés se parent désormais d’arabesques et de
motifs floraux ottomans, et le café donne lieu à un cérémonial raffiné.
En 1742, le plus Versaillais des Turcs, le jeune Mehmed Said Efendi, le
fils du premier ambassadeur ottoman nommé à Paris, Mehmed Çelebi Efendi,
succède à son père. Nouvel engouement. Madame de Pompadour, favorite de
Louis XV, se fait représenter par Carle Vanloo sous les traits d’une Sultane buvant du café…
Mais que l’Empire accepte de nommer des ambassadeurs montre qu’il est
désormais faible. Ces deux premières ambassades auront de fait une
influence autrement plus profonde et plus durable du côté turc,
l’imitation des jardins à la française annonçant ici une
occidentalisation qui ira désormais croissant.
Mots clés : Mozart, Van Loo, Berlioz, Turquie, Aragon, Islam des mondes.
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