jeudi 10 juillet 2014

Turquerie : quand le raffinement ottoman séduisait l’Europe

par Seyfeddine Ben Mansour

Modes ottomanes : la gravure de l’Orient au Siècle des Lumières. Présentée à la Bibliothèque Louis Aragon de Amiens, elle est organisée autour du célèbre recueil Ferriol — Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant — commandé au peintre Jean-Baptiste Vanmour par le comte Charles de Ferriol, ambassadeur auprès de la Sublime Porte de 1699 à 1711. L’ouvrage comporte 99 gravures de personnages ottomans, présentés dans leur quotidien, et illustrant la diversité ethnique, sociale et religieuse de l’Empire, objet de fascination pour le commanditaire, et bientôt pour toute l’Europe : Turcs, Grecs, Arméniens, artisans, derviches se succèdent ainsi dans des mises en scène soignées, mais aussi officiers du sérail, ministres et couple impérial en habits de cérémonie, tous représentés avec un luxe de détails… Le raffinement du plus grand empire d’Europe était connu dès le XIVe siècle, notamment à travers l’importation des tapis, produits de luxe par excellence. Le roi Henri VIII d’Angleterre (1491-1547) s’enorgueillissait ainsi d’en posséder plusieurs centaines. Mais c’est au XVIIe siècle que naîtra véritablement la mode des turqueries, des «objets, compositions artistiques ou littéraires d’origine, de goût ou d’inspiration turque» selon le Petit Robert. 
 
Un usage réservé à l’aristocratie de cour 
 
On parlerait aujourd’hui de turcomania. Elle se poursuivra jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que, l’Empire ne constituant plus une menace, et n’exerçant plus d’attrait, la turquerie se fondera dans l’orientalisme d’un Occident conquérant. A l’Ouverture de L’Enlèvement au sérail de Mozart succédera ainsi la pesante Marche marocaine de Berlioz. La fascination pour le raffinement ottoman naît au sein de la cour du jeune Louis XIV. En 1669, le prince, qui ne règne que depuis huit années, reçoit Soliman Agha, gentilhomme ottoman qui n’est qu’un simple courrier, et que le roi prend pour un ambassadeur. Le jeune Louis est déterminé à éblouir son hôte, et, en quête de reconnaissance, se met en frais d’employer les usages ottomans qu’il ignore. «Il m’envoya chercher, raconte dans ses Mémoires le chevalier d’Arvieux, afin de s’informer de la manière dont les Grands-Vizirs donnent audience aux ministres étrangers et comme il voulait les imiter, il me chargea de faire tout préparer dans ses offices […]». On fit donc construire des estrades, des divans à la turque, des tabourets orientaux. On prépara des sorbets, et on servit de cette boisson nouvelle appelée «café»… La turcomania, quoique déjà réelle, ne sortait pas du cadre, oisif et raffiné, de l’aristocratie de cour. Le recueil Ferriol lui donnera une extension européenne en donnant naissance à l’illustration viatique, à «l’imagerie qui fait voyager». L’ouvrage est réédité plusieurs fois entre 1712 et 1764. La turcomania s’empare des arts décoratifs, comme des usages : les objets ouvragés se parent désormais d’arabesques et de motifs floraux ottomans, et le café donne lieu à un cérémonial raffiné. En 1742, le plus Versaillais des Turcs, le jeune Mehmed Said Efendi, le fils du premier ambassadeur ottoman nommé à Paris, Mehmed Çelebi Efendi, succède à son père. Nouvel engouement. Madame de Pompadour, favorite de Louis XV, se fait représenter par Carle Vanloo sous les traits d’une Sultane buvant du café… Mais que l’Empire accepte de nommer des ambassadeurs montre qu’il est désormais faible. Ces deux premières ambassades auront de fait une influence autrement plus profonde et plus durable du côté turc, l’imitation des jardins à la française annonçant ici une occidentalisation qui ira désormais croissant.


Article publié sur Zaman France (20 avril 2012).

Mots clés : Mozart, Van Loo, Berlioz, Turquie, Aragon, Islam des mondes.

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