vendredi 18 juillet 2014

Frénésie de la traduction : l’empire islamique à la conquête du savoir

par Seyfeddine Ben Mansour

Sous la direction de Gerhard Endress et Dimitri Gutas, les éditions Brill viennent de publier A Greek and Arabic Lexicon. Materials for a Dictionary of the Mediaeval Translations from Greek into Arabic. Il s’agit de la première compilation systématique, sous forme de dictionnaire raisonné, du vocabulaire scientifique arabe d’origine grecque.

La compilation et la recherche scientifique

A peine un siècle après sa constitution, l’empire arabo-musulman se lance en effet dans une formidable entreprise de compilation du savoir connu. Soit, également, un siècle à peine après la constitution, autour du texte coranique, d’un corps de sciences religieuses – grammaire, exégèse, science du hadith, jurisprudence, théologie. Du VIIIe au Xe siècle, l’activité de traduction est reine dans les grands centres urbains tels que Damas ou Bagdad. Les musulmans, – à la tête d’un empire qui, des Pyrénées à la vallée de l’Indus, couvre désormais l’ancien monde –, développent les sciences profanes : mathématiques, astronomie, médecine, philosophie. La traduction constituera à cet égard une première étape. Successeurs des anciennes civilisations dont ils ont repris le flambeau, ils commenceront en effet par assimiler le savoir connu – grec, perse et indien, notamment – en l’arabisant, avant de passer à l’étape suivante, celle de la recherche scientifique, à l’origine d’un développement authentiquement musulman des sciences et des techniques. Ce mouvement suppose des institutions à même de rendre possible sa mise en œuvre.

La «Maison de la Sagesse» fondée en 828

La plus emblématique, la plus importante, est sans conteste Bayt al-Hikma, littéralement, la «Maison de la Sagesse», fondée par le calife abbasside al-Ma’moun en 828. Ce centre de traduction et de recherches, institution publique au sein de laquelle allaient officier les plus grands savants et traducteurs – dont al-khawarizmi , le père de l’algèbre –, était à l’origine la bibliothèque privée du calife Haroun ar-Rachid (786-809), et portait le nom de Khizânat al-Hikma (Fonds de la Sagesse). Cette bibliothèque califale remonte plus haut dans le temps encore, puisque son fonds a commencé à être constitué à Damas, par le fondateur de la dynastie précédente, celle des Omeyyades, Mou‘awiya (661-685), et ce, du temps où il était encore simple gouverneur de Syrie. L’institution de Bayt al-Hikma va néanmoins permettre de rationnaliser l’activité de traduction scientifique, jusque-là entreprise de façon diffuse au sein de l’empire. L’organisme public va ainsi en devenir le lieu d’élaboration privilégié.

La diffusion matérielle du savoir

Les traducteurs, souvent chrétiens, comme le fameux Hunayn Ibn Ishaq (808-863), puisent tant dans les collections de l’institution, que dans les ressources des bibliothèques en tous genres présentes sur le vaste territoire de l’empire, – dont sans doute le fonds, disséminé, de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie (fondée 9 siècles plus tôt). Ce à quoi, sans doute, il faut ajouter les manuscrits apportés par les différentes missions envoyées à Constantinople afin d’y acquérir des textes en langue originale. Aux côtés des traducteurs, cœur de l’institution, officiaient également des astronomes, au sein des observatoires de Bagdad et de Damas, tandis que tout un corps de petits métiers du livre s’affairait à diffuser matériellement le savoir : copieurs, relieurs, doreurs, enlumineurs, etc., à une époque où le papier , l’un des fleurons de l’industrie musulmane médiévale, tendait à devenir un véritable média de masse. Très vite, du reste, le secteur privé tend à prendre le pas sur Bayt al-Hikma, et avant la fin du IXe siècle, les commanditaires privés se multiplient dans les grands centres urbains, et notamment à Bagdad. Les traducteurs, devenus plus nombreux, se transforment en savants indépendants, travaillant pour le compte de mécènes.

Article publié sur Zaman France (23 mars 2014).

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