par Seyfeddine Ben Mansour
Ce
vendredi 3 août, la lune aura parcouru la moitié de sa course, et les
musulmans de par le monde, effectué la moitié de leur jeûne obligatoire
du Ramadan. Le jeûne, ou plus généralement l’abstinence, se rencontre
dans un grand nombre de traditions religieuses. Celles qui existent en
islam, et dont le Ramadan est la forme exemplaire, s’inscrivent
naturellement dans une tradition abrahamique, tradition dont l’islam est
l’héritier, et dont il constitue le parachèvement. Cette filiation
s’observe dans le terme même de sawm, qui, avant l’avènement de
l’islam, signifiait «fait d’être au repos». C’est dans le Coran que ce
sens religieux de «jeûne/abstinence», jusqu’alors inconnu de l’arabe,
apparaît pour la première fois. Ce sens n’était néanmoins pas inconnu du
judéo-araméen et du syriaque, deux langues proches de l’arabe, et qui
étaient employées dans les liturgies juives et chrétiennes.
Le vœu de silence de Marie dans le Coran
Le vœu de silence que fait Marie dans la sourate qui porte son nom (XIX:27), vœu désigné par le mot sawm,
correspondait de fait à une pratique ascétique chrétienne. Enfin, le
jeûne de l’Achoura, et celui du Ramadan, qui a abrogé le caractère
obligatoire du premier (II:179-181), ne sont pas, en la matière, sans
rapport avec la tradition juive. Ainsi le chiffre 10, qui est lié au nom
même de l’Achoura (‘ashara, «dix»), comme à sa position dans
le cycle : le 10 du mois islamique de Muharram est en effet le deuxième
et dernier jour de ce jeûne de pénitence. Le parallèle avec les dix
jours de pénitence qui, chez les juifs, précèdent Yom Kippour (le Jour
du Grand pardon) semble justifié. D’autant plus que les «jours comptés»
pendant lesquels «vous a été prescrit le jeûne comme il l’a été à ceux
qui vous ont précédés» (Coran, II:180-184) pourraient, selon
certains commentateurs, être au nombre de 10, et comme le sont,
assurément, les jours de retraite spirituelle qui marquent le dernier
tiers du Ramadan.
Pénitence et abstinence dans l’Ancien Testament
On pourrait multiplier les rapprochements, mais sans doute, au-delà des
similitudes formelles, le plus important est-il le sens donné au jeûne.
D’emblée, dans le judaïsme, il est associé à la pénitence : on
«sanctifie un jeûne» en signe de deuil, comme le firent le prophète
Joël, face à la stérilité de la terre (I:14), ou le roi David pour la
mort d’Abner (2 Samuel, XII:16). On jeûne également pour se
préparer à un acte important : Esther (IV:16) jeûna trois jours avant de
se présenter devant le roi Assuérus et d’intercéder pour les juifs.
Plus généralement, on jeûne dans l’espoir d’apaiser la colère divine :
le jeûne public ordonné par le roi sauva Ninive d’une destruction
certaine (Jonas, III:7). Enfin, le jeûne est symbole d’une
autre vie, d’une vie toute spirituelle, comme celui de Moïse sur le mont
Sinaï, qui dura quarante jours et quarante nuits, durant lesquels il
reçut les dix Commandements (Exode, XXXIV:28).
Des actes et des valeurs d’essence abrahamique
Le christianisme primitif perpétuera les usages judaïques, en y
associant les mêmes valeurs, et peu ou prou les mêmes actes : abstinence
jusqu’au coucher du soleil, pénitence, retraite, prière, mais aussi
sollicitude pour les nécessiteux, actes et valeurs que l’on retrouvera
dans la pratique islamique du jeûne. Plus tard, l’Eglise fera du jeûne
une obligation canonique et en fixera le calendrier : le mercredi, le
vendredi et le samedi, au commencement de chaque saison (Quatre-Temps),
la veille de certaines fêtes (Vigiles), et enfin en Carême. Si sa
discipline austère s’est maintenue chez les chrétiens d’Orient, depuis
les Croisades et les guerres de religion, le jeûne n’a cessé de perdre
de sa rigueur en Occident. Réduit à de faciles prescriptions, peu
pratiqué, son esprit abrahamique demeure néanmoins entier.
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