par Seyfeddine Ben Mansour
Ahmad Al-Raysuni vient de faire paraître aux éditions L’Harmattan un essai intitulé La shûrâ : le principe de délibération collective.
L’auteur, qui enseigne le fiqh à l’université Muhammad V de Rabat, y
analyse les significations essentielles de ce principe moral devenu
concept politique. En islam, morale et politique ont pour finalité
essentielle l’épanouissement complet de l’homme, à la fois spirituel et
temporel, dont notamment l’amélioration de ses conditions d’existence
matérielle et, partant, la sauvegarde de sa dignité religieuse. La choura,
que l’on peut traduire par «(principe de) consultation», est un des
moyens en vue de cette fin. Le mot apparaît trois fois dans le Coran. La
première mention limite le champ d’application à la première cellule
sociale, la famille nucléaire, invitant le père et la mère à décider
ensemble, «d’un commun accord», du sevrage de leur enfant (II : 233). La
seconde est celle dont la portée est la plus générale. Elle figure du
reste dans une sourate qui en porte le nom : «la Délibération», et met
en avant l’idéal moral incarné par ceux «qui se consultent entre eux au
sujet de leurs affaires» (XLII : 38). La troisième enfin est l’occasion
de souligner que, fût-il guidé par Dieu lui-même, et fût-il entouré de
personnes faillibles, le meilleur des hommes ne devait pas moins les
consulter, et se montrer «bienveillant à leur égard». C’est là en
substance, l’injonction faite au Prophète (III : 159). Néanmoins, le
Coran énonce ici un principe, sans préciser, sur le plan pratique, ce
qui devrait en constituer les règles d’application. Le passage du plan
moral au plan politique, de la légitimité islamique aux différentes
formes de la légalité étatique, sera, de fait, l’œuvre des théologiens. A
partir des textes du Coran et de la Tradition, ils ont élaboré ‒ par
analogie, recoupement, déduction et extrapolation ‒ des prescriptions
qui dessineront les modalités d’un cadre politique idéal. S’élaborera
ainsi, au fil des œuvres et des siècles, une véritable théorie politique
du califat, qui repose essentiellement sur un contrat de pouvoir et la
capacité de gouverner.
Un principe noble mais resté lettre morte
Ni impeccable, ni infaillible, contrairement à l’Imam chiite, le calife sunnite est en théorie un simple «fondé de pouvoir» (c’est là un des sens premiers de khalîfa). S’il est bien chef spirituel et temporel, c’est en tant que gardien de la loi religieuse et délégué à la gestion des biens du peuple (de la oumma). Dès lors, son accession au pouvoir suppose un contrat qui consiste en une élection, suivie d’une investiture, elle-même scellée par une ratification populaire. Le suffrage universel relevant autrefois, et pour des raisons logistiques évidentes, d’une utopie, l’élection devait être le fait de trois collèges : les ulémas (dépositaires d’un savoir juridique et religieux), les urafâs (dépositaires d’un savoir de type technocratique, et notamment experts socio-économiques) et les ahl ash-shawka (dépositaires d’un pouvoir coercitif : chefs de tribus, eux-mêmes mandatés par leurs pairs). L’investiture (bay‘a) finale est le fruit de cette délibération collective. Le contrat de pouvoir ainsi conclu consiste en un double serment de fidélité : le calife s’engage à veiller sur les intérêts matériels et moraux du peuple, qui, en contrepartie, lui doit obéissance et loyauté. Dans les faits, la dialectique des principes d’obéissance et de consultation a presque toujours consacré la prééminence du premier sur le second, tant il est vrai que l’histoire des successions califales est, essentiellement, une histoire dynastique.
Mots clés : choura, Islam, calife, élection, Démocratie, Coran, Islam des mondes.
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