par Seyfeddine Ben Mansour
Le
1er septembre, le président tunisien Moncef Marzouki a déposé une gerbe
sur la tombe de Muhammad VII al-Munsif Bay, avant-dernier souverain de
Tunisie. La République rendait ainsi hommage au monarque patriote, mort à
Pau il y a 64 ans, exilé par les autorités coloniales françaises.
Jamais autant que sous Moncef Bey, la dynastie turque des husseinites
n’a donné le sentiment qu’elle était la dynastie nationale tunisienne.
De leur origine turque pourtant, les husseinites avaient conservé
l’appartenance à l’école hanéfite – contrairement à la presque totalité
de leurs sujets, qui sont malékites – la tradition d’épouser des
princesses turques ou circassiennes, et la reconnaissance, jusque 1881,
de la suzeraineté ottomane. A cette date en effet, ce qui fut une
province ottomane (Eyalet-i Tunus /Tunus beyligi), mais dont,
depuis 1705, la vassalité était purement nominale, devient un
«protectorat français». Malgré des titres pompeux («Notre Seigneur et
Maître», Pasha Bey, «Possesseur du Royaume de Tunis»), les beys
qui se sont succédé depuis cette date se contentaient la plupart du
temps d’entériner sans discuter les décisions du Résident général,
représentant à Tunis du pouvoir colonial. C’est à lui en outre qu’ils
devaient en référer avant toute décision de quelque importance. Moncef
Bey se révèlera bien moins malléable que ses prédécesseurs et son ultime
successeur. En 1922 déjà, alors qu’il était le conseiller de son père,
Naceur Bey, il mettra en contact le souverain avec les militants
nationalistes. La Résidence générale demandera qu’il soit éloigné.
Un protecteur des juifs durant l’Occupation
Parvenu au trône le 19 juin 1942, il adresse dès le 20 août un
mémorandum au maréchal Pétain, comportant 16 demandes qui toutes visent à
raffermir la souveraineté nationale. Il exigeait notamment la
participation de ses sujets à la vie politique, tant au niveau municipal
qu’au niveau national au travers de l’institution d’un conseil
consultatif de la législation ; l’égalité de traitement entre les
fonctionnaires français et tunisiens ; la création d’emplois pour les
Tunisiens ; la scolarisation obligatoire pour l’ensemble de ses sujets
et le rétablissement de l’enseignement de l’arabe, langue nationale et
la nationalisation des entreprises d’intérêt général, dans les secteurs
de l’électricité et des transports, notamment. C’est dans le même esprit
que, durant la présence des troupes de l’Axe de novembre 1942 à mai
1943, il interviendra régulièrement pour protéger ses sujets contre les
exactions des forces occupantes, et notamment les juifs, plus exposés
que les musulmans. Malgré les propositions pressantes des autorités
vichystes, Moncef Bey refusera qu’on impose à ses sujets israélites le
port de l’étoile jaune et le travail obligatoire. Le camouflet qu’il
imposera au résident général, l’amiral Estéva, aura néanmoins raison de
son court règne. Sans en référer à ce dernier, le 1er janvier 1943,
Moncef Bey nomme un gouvernement nationaliste avec à sa tête le leader
M’hamed Chenik. Le lobby colonial obtiendra, à la libération, qu’il soit
exilé et remplacé par le falot Lamine Bey. Le souverain nationaliste
mourra à Pau. Homme d’une grande piété et d’une grande simplicité, il
avait demandé à être inhumé dans le cimetière communal du Jellaz à
Tunis, et non à Turbat al-Bây, le mausolée royal des
husseinites. 300.000 personnes accompagneront la dépouille de celui qui,
aujourd’hui encore, est aimé de tous les Tunisiens.
Mots clés : moncef bey, ottoman tunisien, pouvoir colonial, Moncef marzouki, Tunisie, monarque patriote, Islam des mondes.
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