lundi 14 juillet 2014

Moncef Bey : un ottoman tunisien face au pouvoir colonial

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 1er septembre, le président tunisien Moncef Marzouki a déposé une gerbe sur la tombe de Muhammad VII al-Munsif Bay, avant-dernier souverain de Tunisie. La République rendait ainsi hommage au monarque patriote, mort à Pau il y a 64 ans, exilé par les autorités coloniales françaises. Jamais autant que sous Moncef Bey, la dynastie turque des husseinites n’a donné le sentiment qu’elle était la dynastie nationale tunisienne. De leur origine turque pourtant, les husseinites avaient conservé l’appartenance à l’école hanéfite – contrairement à la presque totalité de leurs sujets, qui sont malékites – la tradition d’épouser des princesses turques ou circassiennes, et la reconnaissance, jusque 1881, de la suzeraineté ottomane. A cette date en effet, ce qui fut une province ottomane (Eyalet-i Tunus /Tunus beyligi), mais dont, depuis 1705, la vassalité était purement nominale, devient un «protectorat français». Malgré des titres pompeux («Notre Seigneur et Maître», Pasha Bey, «Possesseur du Royaume de Tunis»), les beys qui se sont succédé depuis cette date se contentaient la plupart du temps d’entériner sans discuter les décisions du Résident général, représentant à Tunis du pouvoir colonial. C’est à lui en outre qu’ils devaient en référer avant toute décision de quelque importance. Moncef Bey se révèlera bien moins malléable que ses prédécesseurs et son ultime successeur. En 1922 déjà, alors qu’il était le conseiller de son père, Naceur Bey, il mettra en contact le souverain avec les militants nationalistes. La Résidence générale demandera qu’il soit éloigné. 
Un protecteur des juifs durant l’Occupation
Parvenu au trône le 19 juin 1942, il adresse dès le 20 août un mémorandum au maréchal Pétain, comportant 16 demandes qui toutes visent à raffermir la souveraineté nationale. Il exigeait notamment la participation de ses sujets à la vie politique, tant au niveau municipal qu’au niveau national au travers de l’institution d’un conseil consultatif de la législation ; l’égalité de traitement entre les fonctionnaires français et tunisiens ; la création d’emplois pour les Tunisiens ; la scolarisation obligatoire pour l’ensemble de ses sujets et le rétablissement de l’enseignement de l’arabe, langue nationale et la nationalisation des entreprises d’intérêt général, dans les secteurs de l’électricité et des transports, notamment. C’est dans le même esprit que, durant la présence des troupes de l’Axe de novembre 1942 à mai 1943, il interviendra régulièrement pour protéger ses sujets contre les exactions des forces occupantes, et notamment les juifs, plus exposés que les musulmans. Malgré les propositions pressantes des autorités vichystes, Moncef Bey refusera qu’on impose à ses sujets israélites le port de l’étoile jaune et le travail obligatoire. Le camouflet qu’il imposera au résident général, l’amiral Estéva, aura néanmoins raison de son court règne. Sans en référer à ce dernier, le 1er janvier 1943, Moncef Bey nomme un gouvernement nationaliste avec à sa tête le leader M’hamed Chenik. Le lobby colonial obtiendra, à la libération, qu’il soit exilé et remplacé par le falot Lamine Bey. Le souverain nationaliste mourra à Pau. Homme d’une grande piété et d’une grande simplicité, il avait demandé à être inhumé dans le cimetière communal du Jellaz à Tunis, et non à Turbat al-Bây, le mausolée royal des husseinites. 300.000 personnes accompagneront la dépouille de celui qui, aujourd’hui encore, est aimé de tous les Tunisiens.

Article publié sur Zaman France (07 septembre 2012).

Mots clés : moncef bey, ottoman tunisien, pouvoir colonial, Moncef marzouki, Tunisie, monarque patriote, Islam des mondes.

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