jeudi 17 juillet 2014

Agha Khan : de la forteresse d’Alamut à la modernité

par Seyfeddine Ben Mansour

Dans la collection «Terre et gens d’Islam», les éditions Karthala ont fait paraître L'âghâ khân et les Khojah : islam chiite et dynamiques sociales dans le sous-continent indien, le dernier ouvrage de l’historien Michel Boivin. C’est en effet dans le sous-continent indien qu’a fleuri la branche nizarite du chiisme ismaélien. Ceux qui en sont aujourd’hui les chefs spirituels continuent de porter les titres d’origine turque (âghâ), mongole (khân) ou persane (khodja) qui les relient à une histoire pas toujours ancienne.
 
Le lien à l'Occident

Depuis 1866 en effet, date à laquelle a été rendu le célèbre jugement de Sir Joseph Arnould à la Cour Suprême britannique, Agha Khan n’est plus un simple titre honorifique porté à la cour des princes Kajars de Perse, mais celui, effectif, du chef spirituel des ismaéliens nizarites d’Inde, d’Iran, d’Asie centrale, de Syrie et d’Afrique de l’Est. Mais aussi d’Europe et d’Amérique du Nord, où vivent de florissantes communautés. Depuis la reconnaissance par le pouvoir colonial britannique de son imamat, la dynastie est en effet très liée à l’Occident. Elle y vit, le richissime Agha Khan y est un personnage public, mais surtout, c’est à partir de cet Occident que les différentes fondations et institutions ismaéliennes déploient leurs activités religieuses, culturelles et caritatives à travers le monde. Ainsi de l'Agha Khan Development Network, qui œuvre principalement en Asie et en Afrique, et dont les programmes relèvent, selon son fondateur, Karim Agha Khan IV, d’une «initiative contemporaine de l’imamat ismaili visant à concrétiser, à travers l’activité institutionnelle, la vision éthique de la société inspirée par le message de l’islam.»

 
Le temps du califat fatimide

L’histoire des nizarites se confond longtemps avec celle des ismaéliens, et remonte donc au schisme sur la légitimité du pouvoir califal, qui a séparé les musulmans en sunnites et chiites. Branche majeure du chiisme ismaélien, le nizarisme (nizâriyya) est né d’une scission liée à la succession du calife fatimide al-Mustansir bi-Llah, mort en 1094. Ceux qui ne reconnaissaient la qualité d’Imam qu’au seul fils aîné du calife, Nizar, ont été appelés «nizarites». Les ismaéliens ont, à l’instar des autres chiites, préféré la fidélité aux imams, ‒ descendants de Ali Ibn Abi Talib et de Fatima az-Zahra, fille du Prophète ‒, à la soumission aux califes omeyyades, puis abbassides. La communauté a connu deux grands moments historiques. De 969 à 1171, les ismaéliens instaurent un califat chiite, le califat fatimide qui voit les descendants du 7e imam régner sur l’Egypte. De 1090 à 1256, depuis Alamut, une forteresse de la Perse du Nord, d’autres ismaéliens dirigent une confédération de cités-Etats s’étendant de la Syrie à la Perse, un Etat qui saura s’imposer face aux principautés sunnites des Turcs seldjoukides et aux Etats chrétiens des Croisés de Palestine. C'est l'époque des Hassan Ibn as-Sabbah, des Rashid ad-Din Sinan et de la secte des Assassins. C’est aussi l’époque qui voit la doctrine fatimide accorder un plus grand rôle à l’Imam, interprète infaillible de la doctrine islamique.

 
L'hostilité puis le renouveau

En 1256, les Mongols mettront fin à Alamut. Les communautés nizarites de Perse et de Syrie seront dès lors, et pour longtemps, condamnées à devoir survivre dans un environnement hostile où leur foi est considérée comme hérétique. C’est la da’wa, la mission, qui sauvera un nizarisme qui aurait pu disparaître et qui est aujourd’hui florissant, de plain pied avec la modernité. D’innombrables émissaires-prédicateurs (da‘î) essaimeront en effet pour reprendre en main les petites communautés isolées, ou en établir de nouvelles, comme au Penjab, au Sind et au Gudjarat où, bien plus tard, au XIXe siècle, commencera l’histoire nouvelle des Agha Khan.


Article publié sur Zaman France (30 décembre 2013).

Mots clés : Mongols, Alamut, Khodja, Penjab, Sind, Gudjarat, Hassan Ibn as-Sabbah, Rashid ad-Din Sinan, Assassins, turcs, Seldjoukides, da'wa, Égypte, imam, imamat, 1866, Sir Joseph Arnould, Cour Suprême britannique, Agha Khan, cour, Kajars, Perse, chef spirituel, ismaéliens, nizarites, Inde, Iran, Asie centrale, Syrie, Afrique de l’Est, Europe, Amérique du Nord, Fatimides, chiites, chiisme, Ali Ibn Abi Talib, Fatima az-Zahra, Prophète, al-Mustansir bi-Llah, Islam des mondes.

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