lundi 21 juillet 2014

L’art du conte en Islam

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 18 mai dernier se sont achevées à Sousse, en Tunisie, les Journées du conteur. L’événement a réuni des dizaines d’artistes venus des quatre coins du monde, et en particulier de pays musulmans. L’histoire des conteurs en Islam commence avec le Ier siècle de l’Hégire, et est d’emblée liée à la religion. Le conteur n’en assume pas une fonction religieuse officielle pour autant, et longtemps, il louvoiera entre les domaines du sacré et du profane.
 
La figure du qâss

D’abord, il y a le qâss, qui apparaît dès l’époque du calife Ali Ibn Abi Talib (VIIe siècle). Sa fonction évoluera au fil des siècles, depuis la prédication religieuse au sein des mosquées jusqu’au récit d’aventures extraordinaires dans les foires. Par opposition à l’austérité des prêches des imams, les talents d’artistes du qâss permettaient de rendre accessible à une masse largement analphabète nombre d’enseignements islamiques. Souvent sous la forme de l’édification, à travers la figure de personnages biblico-coraniques ou de héros de l’islam. Mais leur goût pour le merveilleux l’emportant sur la rigueur qu’exige l’orthodoxie, les qâss seront chassés des mosquées d’Irak dès le califat de Ali. Aux côtés des récits d’inspiration coranique, on trouvait en effet des légendes judéo-chrétiennes et des contes antéislamiques propres à semer la confusion dans l’esprit des fidèles. Peu à peu, le qâss devient un artiste de foire, qui, « accompagné d’un singe apprivoisé » (al-Jâhidh, IXe siècle), raconte des histoires comme celles du « Loup qui n’avait pas mangé Joseph » (déplore Ibn Abi al-Hadid au XIIIe siècle)…

 
Des récits d'exploits semi-légendaires

L’évolution viendra des aires turque et iranienne. Elle est marquée par l’apparition à l’époque ottomane d’un nouvel appellatif, meddah («panégyriste», en arabe), qui désigne un conteur urbain. Le mot équivaut aux expressions persanes kissa-khwân et shehnâme-khwân référant respectivement aux domaines sacré et profane. Dans un premier temps, les meddahs turcs se sont inspirés des épisodes du Shâh-nâma, le grand poème épique qui retrace l’histoire de l’Iran, mais aussi des exploits semi-légendaires de héros de l’islam, tels que Hamza, Ali, Abu Muslim ou Battal, ou ceux des conquérants turcs de l’Anatolie, – Danishmend Ghazi, notamment. A partir du XVIIe siècle apparaissent, aux côtés de cette veine épique, des récits plus réalistes, inspirés de la tradition populaire, d’ouvrages tels que les Mille et une nuits ou encore de scènes de la vie quotidienne.

 
Le meddahlik ou art du meddah

A cette différence de contenu correspond également une différence de forme : le conteur devient davantage comédien, remplaçant la déclamation et le style indirect par les mimes, les dialogues et la multiplicité des personnages, rendue par une palette d’accents et de timbres de voix. Au XVIIIe le terme meddah ne désigne plus que cette dernière forme, qui a perduré telle quelle jusqu’au milieu du XIXe siècle à Istanbul, avant de se folkloriser, à mesure que se développaient les médias de masse. Assis sur une estrade, dans un lieu public (souvent, un café), le meddah a une canne avec laquelle il fait, au besoin, observer le silence. Sur son épaule, un mouchoir avec lequel il va pouvoir moduler sa voix et simuler ainsi une pléiade de personnages. Dans ses formules de début et de fin, de manière très moderne, il s’excuse par avance de toute ressemblance avec des personnes présentes dans l’auditoire, mais aussi de devoir aborder des sujets susceptibles de heurter. Depuis 2008, le meddahlik ou art du meddah est inscrit sur liste Unesco du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Article publié sur Zaman France (09 juin 2014).

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