par Seyfeddine Ben Mansour
La Fondation du Diyanet a récemment fait paraître l'İslâm Ansiklopedisi, une encyclopédie de l’Islam en 44 volumes qui constitue la première alternative proprement musulmane à celle dite de Leiden, passablement occidentalocentrée. Fruit de trois de décennies de travail, l’Islâm Ansiklopedisi réunit les contributions de près de 2 000 spécialistes dans les domaines les plus divers.
Le Recueil des langues turques
L’intérêt (pour ne pas dire la fascination) des Turcs pour l’encyclopédie, ‒ c’est-à-dire la compilation ordonnée du savoir disponible à un moment de l’histoire ‒, est loin d’être récent. Il remonte en effet à près d’un millénaire, avec le Diwân lughât at-Turk (Recueil des langues turques) de Mahmud al-Kashghari, un savant et lexicographe turc qui vécut à Bagdad au XIe siècle. L’ouvrage est, au sens propre, une somme. Dictionnaire comparatif des langues turques, il aligne au fil de l’alphabet mots et expressions ouighour, kiptchak ou oghouz, dont, néanmoins, il ne se contente pas de donner le sens. L’auteur fournit en effet un grand nombre de données extra-linguistiques destinées à éclairer le lecteur : noms de lieux, noms de tribus, personnages célèbres, titulatures, etc. Les données proprement historiques y côtoient les observations personnelles, mais aussi les productions du génie populaire, et notamment les proverbes et la poésie. C’est proprement ce qui fait du Diwân lughât at-Turk non seulement un monument en matière de langues turques médiévales, mais aussi une source de première importance pour l’histoire, la géographie et le folklore des peuples turcophones. Mais si l’ouvrage d’al-Kashghari a pour objet le turc, il a été rédigé en arabe. Il faudra attendre l’avènement des Ottomans pour qu’apparaissent les premières encyclopédies en langue turque.
Les Merveilles de la Création
Il ne s’agira, dans un premier temps, que de simples traductions. Ainsi, le Turc Rukn ad-Din Ahmed offre-t-il au sultan Mehemmed I (1413-1421) sa traduction de ‘Ajâ’ib al-makhlûqât (Merveilles de la Création). On suppose que c’est à travers cet ouvrage que le concept de rotondité de la terre fait son entrée dans la littérature scientifique d’expression turque. Toujours au XVe siècle, Mehmed Ibn Suleyman traduit Hayât al-hayawân, une encyclopédie du monde animal qui recense et décrit l’ensemble des espèces connues. Un siècle plus tard, en 1575, Qadhi ‘Abd ar-Rahman rédige une version turque d’al-Qanûn fî ad-dunyâ d’Ahmad al-Misri, une encyclopédie universelle qui traite d’histoire, de géographie, d’astronomie, de médecine aussi bien que de science des signes. Très vite, néanmoins, les savants ottomans s’émanciperont de la copie des savants arabes et créeront des œuvres originales.
La vie scientifique de l’Istanbul du XVIe siècle
La première date du XVe siècle et est due à Molla Fenari. Intitulée Enmuzedj al-‘ulûm, il s’agit d’une encyclopédie dont les différentes entrées sont classées par disciplines scientifiques. Une des œuvres majeures en la matière demeure néanmoins Miftâh as-sa‘âda wa-misbâh as-siyâda d’Ahmed ‘Isam ad-Din Tashköprüzade (1495-1561). L’auteur y offre, outre des définitions systématiques des différentes sciences, les noms des différents savants dans chacune de ces disciplines, ainsi que les titres de leurs ouvrages. L’encyclopédie, qui sera traduite en turc par son fils Kemal ad-Din Mehmed (Mewdu‘at al-‘ulûm), constitue un véritable inventaire de la vie scientifique de l’Istanbul du XVIe siècle. Durant les siècles suivants, l’activité encyclopédique ottomane suivra la pente déclinante de l’Empire. Elle réapparaîtra au milieu du XIXe siècle, sous les Tanzimat, mais désormais avec un style et un contenu où l’influence de l’Occident vainqueur est nette.
Article publié sur Zaman France (07 février 2014).
Mots clés : Istanbul, ottoman, empire, Rukn ad-Din Ahmed, Diwân lughât at-Turk, al-Kashghari, encyclopédie, Diyanet, vakfi, Islâm Ansiklopedisi, Molla Fenari, Turc, Arabe, Islam, Enmuzedj al-‘ulûm, mawsû'a, Ahmed ‘Isam ad-Din, Tashköprüzade, Islam des mondes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire