mardi 15 juillet 2014

L’envolée fabuleuse d’Ibn Firnas

par Seyfeddine Ben Mansour

Dimanche 23 juin s’est clôturée la 50e édition du Salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris-Le Bourget. Premier rendez-vous au plan mondial de l’industrie aéronautique, le Salon du Bourget a été fondé en 1909, afin de soutenir et valoriser la jeune industrie aéronautique française. Si le rêve d’Icare a attendu le XXe siècle pour pleinement se réaliser, l’Europe musulmane a conduit des recherches et des expérimentations majeures onze siècles plus tôt. C’est à Cordoue, dans l’Espagne omeyyade du Moyen-Age, qu’un musulman d’ascendance berbère, Abbas Ibn Firnas, rechercha les moyens techniques qui permettraient à l’homme de s’élever dans les airs.
 
Originaire d’une province au nom à consonance berbère, Takurunna (actuelle province de Malaga, dans le sud de la péninsule), Ibn Firnas vécut en effet au IXe siècle, essentiellement à Courdoue, la capitale, où il mourut en 887. Esprit aussi brillant que distingué, Ibn Farnas fut le poète de cour de trois souverains successifs, al-Hakam Ier, Abd ar-Rahman II et Muhammad Ier, à la gloire desquels il composa de nombreux panégyriques. Mais c’est essentiellement son goût pour les sciences qui lui valut de passer à la postérité, et notamment sa qualité de précurseur de l’aéronautique. Les sources historiques, maigres et souvent tardives, rapportent deux faits distants dans le temps. En 852, un certain Arman Firman (nom latinisé d’Abbas Ibn Firnas ou personnage distinct, la chose n’est pas claire) fait une expérience qui s’avérera concluante. Vêtu d’un grand manteau conçu à cet effet, il s’élance du haut du minaret de la grande mosquée de Cordoue. Il en sera quitte pour quelques blessures. Le second fait, rapporté par l’historien al-Maqqari al-Tlemceni (1578-1632), se produit en 875. Ibn Firnas fit confectionner une sorte de combinaison comportant deux ailes mobiles en bois recouvertes de soie et garnies de plumes de rapaces. Le septuagénaire eut le courage de l’endosser pour s’élancer depuis le sommet d’un précipice sous les yeux ébahis d’une large foule convoquée pour l’occasion. Le vol en lui-même fut globalement une réussite : l’inventeur parvint à se maintenir en vol plané pendant une dizaine de minutes. L’atterrissage, en revanche, fut assez catastrophique : le vieil homme se brisa les deux jambes et échappa à la mort par miracle. Il aurait déduit de ce semi-échec qu’il manquait à son invention la queue dont sont pourvus les oiseaux, et dont ils se servent à la fois pour se diriger et pour amortir leur descente. Toutes les expériences d’Ibn Firnas ne furent pas aussi malheureuses, loin s’en faut. Il est ainsi à l’origine d’une clepsydre (horloge à eau) très sophistiquée, la manqâna, ainsi que d’un métronome (Ibn Firnas avait enseigné la musique et les mathématiques, deux disciplines scientifiques liées chez les Arabes au Moyen-Age). Il a découvert seul le moyen de tailler le cristal de roche, ce qui permit à l’émirat maghrébin d’Espagne de se passer de la technologie égyptienne en la matière. Il découvrit également le moyen d’obtenir un verre parfaitement transparent. Il fabriqua les premiers verres correctifs, dans lesquels il voyait un moyen d’améliorer le «confort de lecture». Ibn Firnas est également à l’origine de la première sphère armillaire conçue et fabriquée sur le sol européen, un mécanisme sphérique mobile qui modélise le mouvement des étoiles autour de la Terre et celui du Soleil dans l’écliptique. Enfin, il avait fait construire chez lui un système automatisé qui permettait de figurer dans une pièce attenante à son laboratoire la course des étoiles, mais aussi les nuages, le tonnerre et les éclairs qui accompagnent le déclenchement d’un orage.
 
Article publié sur Zaman France (24 juin 2013).

Mots clés : abbas, Ibn Firnas, Cordoue, al-Makkari, vol, sphère armillaire, clepsydre, métronome, armen firman, Takurunna, Islam des mondes.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire