par Seyfeddine Ben Mansour
Ce vendredi 26 octobre, les musulmans du monde entier célébreront l’Aïd al-Adha, la Grande fête (Aïd el-Kébir, Büyük Bayram)
qui commémore le sacrifice d’Abraham. Le sacrifice de son fils, demandé
par Dieu, est un événement essentiel dans l’histoire d’Abraham, et,
partant, un épisode essentiel pour les trois religions, dites
précisément «abrahamiques». On a coutume, en la matière, d’opposer le
judaïsme et le christianisme à l’islam, sur la base de l’identité de ce
fils : Isaac dans le premier cas, et Ismaël dans le second. Or cette
opposition est partiellement fausse : le Coran ne se prononce pas
explicitement sur ce point, et si la tradition savante majoritaire comme
les traditions populaires finiront par imposer Ismaël, ancêtre des
Arabes et édificateur de la Kaaba, l’un de plus grands exégètes,
at-Tabari (839-923), pensait qu’il s’agissait d’Isaac. Or, outre que
cette question est de peu d’importance dans les textes – l’idée
essentielle est celle, obvie, de la soumission à la volonté divine –,
force est de constater une forte convergence judéo-islamique qui
s’oppose assez nettement à la tradition chrétienne.Il n’est pas anodin à
cet égard que l’endroit où Abraham a voulu sacrifier son fils soit de
fait un lieu éminemment sacré pour les juifs et pour les musulmans :
c’est le mont Moriyya (Genèse : 22,14), où a été construit le
Temple de Salomon, et où se trouve le Rocher sacré depuis lequel
Muhammad a fait son Ascension.
Plus de différence avec la conception chrétienne
Pour les chrétiens, s’il partage avec le Saint-Sépulcre, le Golgotha et
le mont des Oliviers le statut d’étape de pèlerinage, il s’en faut
qu’il ait le même degré de sacralité. Plus essentiellement, depuis Paul
et les Pères, l’exégèse de l’Ancien Testament est volontiers allégorique
: on cherche dans les événements et les personnages de la Torah une
préfiguration symbolique du Christ et de l’Eglise. Ici, Abraham figure
Dieu le Père, qui met à mort son propre fils, et Isaac, innocent et
obéissant, figure Jésus. De là, plusieurs différences. La première est
celle qui s’observe dans la commémoration de l’événement : alors que les
juifs et les musulmans fêtent le «non sacrifice» du fils, à travers le
rite de l’agneau immolé à Pessah (Pâque juive) ou à l’Aïd al-Adha, c’est
le sacrifice du Fils qui commémore le Jeudi saint, l’agnus paschalis étant,
symboliquement, Jésus lui-même. Autrement dit, dans la tradition
chrétienne, l’acte d’Abraham n’est commémoré que de manière très médiate
(à travers Jésus), et il voit sa signification passablement altérée
(l’acte a abouti). Autre différence, dans l’iconographie chrétienne,
Isaac est souvent représenté sous les traits d’un adolescent, voire d’un
enfant : dans le Midrash (exégèse juive), il a 37 ans ; de même dans le
texte coranique, où le fils est un adulte auquel Abraham demande même
son avis : «Qu’en penses-tu ?». Autrement dit, dans les traditions juive
et islamique, le fils est non pas un enfant, victime passive, mais un
adulte responsable, qui, tout autant que son père, choisit de se
soumettre à la volonté de Dieu. Enfin, le fait que la volonté de Dieu
ait été que le geste d’Abraham n’aboutisse pas s’interprète dans les
traditions juive et musulmane comme étant, en dernière analyse, un
projet de vie (et non de mort, fût-elle suivie d’une résurrection) : à
travers Isaac, c’est la promesse d’une innombrable descendance qui
s’accomplira. «Nous avons perpétué son souvenir dans la postérité,
conclut le Coran (XXXVII, 108-109), «Paix sur Abraham !».
Article publié sur Zaman France (25 octobre 2012).
Mots clés : sacrifice, Abraham, Musulmans, juifs, Islam des mondes.
Mots clés : sacrifice, Abraham, Musulmans, juifs, Islam des mondes.
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