lundi 14 juillet 2014

Sacrifice d’Abraham : ce qui rapproche juifs et musulmans

par Seyfeddine Ben Mansour

Ce vendredi 26 octobre, les musulmans du monde entier célébreront l’Aïd al-Adha, la Grande fête (Aïd el-Kébir, Büyük Bayram) qui commémore le sacrifice d’Abraham. Le sacrifice de son fils, demandé par Dieu, est un événement essentiel dans l’histoire d’Abraham, et, partant, un épisode essentiel pour les trois religions, dites précisément «abrahamiques». On a coutume, en la matière, d’opposer le judaïsme et le christianisme à l’islam, sur la base de l’identité de ce fils : Isaac dans le premier cas, et Ismaël dans le second. Or cette opposition est partiellement fausse : le Coran ne se prononce pas explicitement sur ce point, et si la tradition savante majoritaire comme les traditions populaires finiront par imposer Ismaël, ancêtre des Arabes et édificateur de la Kaaba, l’un de plus grands exégètes, at-Tabari (839-923), pensait qu’il s’agissait d’Isaac. Or, outre que cette question est de peu d’importance dans les textes – l’idée essentielle est celle, obvie, de la soumission à la volonté divine –, force est de constater une forte convergence judéo-islamique qui s’oppose assez nettement à la tradition chrétienne.Il n’est pas anodin à cet égard que l’endroit où Abraham a voulu sacrifier son fils soit de fait un lieu éminemment sacré pour les juifs et pour les musulmans : c’est le mont Moriyya (Genèse : 22,14), où a été construit le Temple de Salomon, et où se trouve le Rocher sacré depuis lequel Muhammad a fait son Ascension. 
 
Plus de différence avec la conception chrétienne 
 
Pour les chrétiens, s’il partage avec le Saint-Sépulcre, le Golgotha et le mont des Oliviers le statut d’étape de pèlerinage, il s’en faut qu’il ait le même degré de sacralité. Plus essentiellement, depuis Paul et les Pères, l’exégèse de l’Ancien Testament est volontiers allégorique : on cherche dans les événements et les personnages de la Torah une préfiguration symbolique du Christ et de l’Eglise. Ici, Abraham figure Dieu le Père, qui met à mort son propre fils, et Isaac, innocent et obéissant, figure Jésus. De là, plusieurs différences. La première est celle qui s’observe dans la commémoration de l’événement : alors que les juifs et les musulmans fêtent le «non sacrifice» du fils, à travers le rite de l’agneau immolé à Pessah (Pâque juive) ou à l’Aïd al-Adha, c’est le sacrifice du Fils qui commémore le Jeudi saint, l’agnus paschalis étant, symboliquement, Jésus lui-même. Autrement dit, dans la tradition chrétienne, l’acte d’Abraham n’est commémoré que de manière très médiate (à travers Jésus), et il voit sa signification passablement altérée (l’acte a abouti). Autre différence, dans l’iconographie chrétienne, Isaac est souvent représenté sous les traits d’un adolescent, voire d’un enfant : dans le Midrash (exégèse juive), il a 37 ans ; de même dans le texte coranique, où le fils est un adulte auquel Abraham demande même son avis : «Qu’en penses-tu ?». Autrement dit, dans les traditions juive et islamique, le fils est non pas un enfant, victime passive, mais un adulte responsable, qui, tout autant que son père, choisit de se soumettre à la volonté de Dieu. Enfin, le fait que la volonté de Dieu ait été que le geste d’Abraham n’aboutisse pas s’interprète dans les traditions juive et musulmane comme étant, en dernière analyse, un projet de vie (et non de mort, fût-elle suivie d’une résurrection) : à travers Isaac, c’est la promesse d’une innombrable descendance qui s’accomplira. «Nous avons perpétué son souvenir dans la postérité, conclut le Coran (XXXVII, 108-109), «Paix sur Abraham !».
 
Article publié sur Zaman France (25 octobre 2012).

Mots clés : sacrifice, Abraham, Musulmans, juifs, Islam des mondes.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire