par Seyfeddine Ben Mansour
Il y a un siècle, entre le 18 et le 24 juin 1913, s’est tenu à Paris le
Premier Congrès arabe. Evénement fondateur du nationalisme arabe, il
réunissait des étudiants, sujets ottomans, membres de sociétés secrètes
arabes créées sur le modèle des Jeunes-Turcs.
Au panturquisme des derniers, il s’agissait de répondre par l’arabisme.
Un arabisme encore modeste dans ses revendications, puisqu’il porte
essentiellement sur la reconnaissance par l’Empire ottoman des droits
civiques et culturels du «Peuple arabe». La question religieuse n’avait,
lors de ce premier Congrès, pratiquement pas été abordée. Elle ne
manquera pas de l’être par la suite. La religion ‒ et nommément, l’islam
‒ occupera en effet une place singulière au sein du baathisme, l’une
des formes majeures de l’idéologie nationaliste arabe dans la deuxième
moitié du XXe siècle. A
la fois socialiste et panarabe, le baathisme est laïque. Pour autant, il
ne rejette pas le religieux à la manière de la Révolution française. Il
ne conçoit pas davantage l’accès à la modernité comme impliquant une
sécularisation préalable de la société, à l’instar du kémalisme.
L’islam lié à l’arabité
Au contraire, le nationalisme arabe du Baath entend «moderniser»
l’islam, que, donc, il prend en compte. Il y voit de fait une composante
essentielle de la civilisation, et, partant, de l’identité arabes. Car
si la laïcité offre un cadre politique et juridique moderne qui permet
d’assurer le vivre ensemble au sein d’une Nation arabe
confessionnellement et ethniquement plurielle (avec ses minorités
chrétiennes, juives, chiites, druzes, kurdes, berbères, arméniennes…),
l’islam est organiquement lié à l’arabité. Or c’est celle-ci qui fonde
la communauté nationale : «Est Arabe quiconque dont la langue est
l’arabe, vit sur le sol arabe ou aspire à y vivre, et est convaincu de
son appartenance à la nation arabe» (article 10 de la Constitution du
parti Baath). Or l’islam est une religion révélée «en langue arabe
claire» (Coran, XXVI : 195), à un prophète arabe, en terre
arabe. Le caractère universel de l’islam n’est pas nié, tant s’en faut,
mais il est rapporté à la spécificité originelle qui en rend compte :
«Chaque grande nation qui se penche sur le sens éternel de l’univers
s’avance, dès ses origines, vers les valeurs éternelles et universelles.
L’islam est la meilleure expression du désir d’éternité et
d’universalité de la Nation arabe. Il est arabe dans sa réalité, et
universel de par ses idéaux et sa finalité.»
Michel Aflaq, l’un des pères fondateurs du parti Baath
Ces mots sont de Michel Aflaq (1910-1989), chrétien de rite grec
orthodoxe, idéologue du nationalisme et du socialisme arabes, et l’un
des pères fondateurs du parti Baath. L’extrait provient de «A la mémoire
du Prophète arabe», un discours prononcé en avril 1943 à l’occasion du
Mawlid (commémoration de la naissance de Muhammad). Il invite ainsi les
chrétiens arabes, aussi nombreux qu’actifs dans l’histoire du
nationalisme, à «reconnaître l’islam comme leur culture nationale : ils
doivent s’en imprégner, ils doivent le respecter et le garder comme
l’élément le plus précieux de leur arabité.» Car à la différence des
Européens, dont les religions viennent d’ailleurs que d’eux-mêmes, les
Arabes, qu’ils soient musulmans ou non, ne peuvent se défaire de l’islam
sans se renier : «L’arabisme est le corps dont l’âme est l’islam.» Ils
doivent même y puiser le moyen de leur renaissance, en s’inspirant de la
révolution spirituelle et politique qui fut celle du «Prophète arabe».
Et c’est au nom de cet islam puisé à sa source que devra être instauré,
de l’Atlantique au Golfe persique, le système laïque d’une Oumma ‘arabiyya, d’une Nation arabe, résolument tournée vers l’avenir.
Mots clés : nationalisme, nation, Arabe, Paris, Premier Congrès arabe, arabisme, arabité, panarabisme, Michel Aflaq, Baath, Islam des mondes.
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