par Seyfeddine Ben Mansour
Depuis
le 13 juin, et jusqu’au 5 août prochain, la Cinémathèque française rend
hommage au cinéma égyptien. Une cinquantaine de films seront ainsi
présentés dans le cadre d’une rétrospective intitulée Ciné-Egyptomania
et destinée à rendre compte de la richesse de l’une des
cinématographies majeures du monde musulman. Hors du monde arabe, c’est
aujourd’hui la Turquie et l’Iran qui se signalent par l’abondance, sinon
par la qualité de leur production. Par l’ancienneté de son introduction
également : à Téhéran, en 1904, Mirza Ebrâhim Sahhâf-Bâshi, photographe
du shah Mozaffar ed-Dîn, ouvre la première salle de cinéma du pays ;
dans l’Egypte ottomane, ce sont des membres de la communauté italienne
qui en 1897 projettent les premiers films muets. De même dans la
capitale de l’Empire, où ce sont également des membres de minorités non
musulmanes — des Juifs et des Arméniens stambouliotes, essentiellement —
qui en 1896 introduisent le «cinématographe». La perception du cinéma,
de même que son développement, dans ce qui n’allait pas tarder à devenir
la République turque, sont intimement liés tant au cosmopolitisme
d’Istanbul qu’au rapport, souvent complexe, à une modernité
d’importation. Lorsqu’il apparaît en 1896, le cinéma trouve
naturellement sa place dans les quartiers de Péra et de Sehzadebasi, les
deux centres par excellence du divertissement commercial. La nouvelle
invention y côtoie à Pera, quartier surtout peuplé de non-musulmans, des
spectacles d’origine européenne tels que les cafés-chantant et les
variétés. A Sehzadebasi, quartier majoritairement musulman, il rejoint
des formes de spectacles plus traditionnelles, telles que le Karagöz (théâtre d’ombres) et le Meddah
(conteurs publics). C’est à partir de 1908 que le cinéma devient une
forme de spectacle autonome, avec des lieux de représentation, une
programmation mais aussi un public spécifiques. Il commence alors à
essaimer dans d’autres quartiers de la capitale.
Des soirées cinéma pendant le ramadan
Cette évolution n’était pas du goût de tous. Certains théologiens
suspectaient en effet cette invention nouvelle, importée et exploitée
par des non musulmans, de porter atteinte aux bonnes mœurs. Le pouvoir
impérial ne suivra que très partiellement leur avis ; le pouvoir
républicain qui lui succédera louera cet instrument de la modernité. Si
les autorités impériales n’ont pas exercé un contrôle structurel
(censure), les autorisations accordées aux nombreux exploitants
stipulaient que les films ne devaient pas traiter de sujets
religieusement mais surtout politiquement sensibles. Le cinéma a même,
globalement, été encouragé, tant pour des raisons fiscales (taxe de
solidarité en sus des impôts ordinaires dont devaient s’acquitter les
exploitants), que pour des raisons de prestige, la nouvelle technologie
ayant vocation à manifester le pouvoir du sultan. Abdulhamit II était du
reste un amateur fervent de cette technologie nouvelle, et faisait
souvent organiser des projections en petit comité. Les exploitants, de
leur côté, tout en s’adaptant aux exigences des autorités, s’efforçaient
de parer aux critiques des ulémas, et de répondre aux demandes d’un
public très divers. Ainsi, dans le quartier de Sehzadebasi, des
projections réservées aux femmes étaient-elles organisées à l’intention
des musulmanes. De même les veillées ramadanesques faisaient-elles
l’objet d’une programmation spéciale trente jours durant. Enfin, ils
n’hésitaient pas, dans un élan de solidarité nationale, à organiser des
projections à des fins non-lucratives, dans le but, par exemple, de
venir en aide à des victimes de désastres naturels ou de conflits
ethniques.
Article publié sur Zaman France (15 juin 2012).
Mots clés : Sultans, naissance cinema, cinema egyptien, Empire Ottoman, abdulhamit II, Islam des mondes.
Mots clés : Sultans, naissance cinema, cinema egyptien, Empire Ottoman, abdulhamit II, Islam des mondes.
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