par Seyfeddine Ben Mansour
Le Haut conseil islamique du Mali a
annoncé le 23 janvier son soutien à l’intervention militaire française
au Mali. Une semaine plutôt, le président de l’Union internationale des
savants musulmans, le cheikh égypto-qatari Yusuf al-Qaradhawi, avait
condamné l’initiative de la France. Nombreux sont les musulmans qui
déplorent l’existence de pareilles divergences entre institutions
islamiques dotée d’une autorité morale. Plus généralement, et plus
fondamentalement, beaucoup redoutent la divergence au sein de l’islam,
dans laquelle ils voient un facteur de discorde et de faiblesse. Force
est de constater pourtant qu’en matière d’interprétation des principes
de l’islam et de définitions de normes ‒ qu’il s’agisse de lois, ou,
comme ici, d’avis (fatwa) ‒, la divergence, et la pluralité
qu’elle suppose, a toujours existé. A l’origine même de la jurisprudence
islamique, il y a l’opposition entre science et opinion, la seconde
palliant les carences de la première, quand, autrement dit, aucun texte
coranique ou aucun hadith ne pouvait être directement invoqué. Cette
opinion qui, par définition, peut varier, était néanmoins légitime en
tant que source de loi. Le Prophète et les premiers Califes avaient
ainsi reconnu la validité des décisions prises par les juges qu’ils
avaient nommés dans les provinces nouvellement conquises, et dans
lesquelles le recours à l’opinion n’était pas rare, le corpus juridique
n’étant pas encore constitué. On y trouvait déjà les premiers
instruments méthodologiques dont useront les différentes écoles
juridiques, et notamment le raisonnement par analogie et la prise en
compte de l’esprit des lois.
L’imitation juridique contre la diversité des avis
C’est à peu près à la même époque qu’apparaît le concept de consensus
(ijmâ‘), qui, comme la divergence, suppose également la pluralité. Il
faut ici avoir à l’esprit que la jurisprudence islamique, loin de s’être
développée à partir d’un corpus existant, a dû l’élaborer au fil des
siècles. Son histoire est celle d’approches différentes, incarnées dans
des écoles différentes qui, en arabe, sont désignées du nom de madhâhib,
littéralement «chemins». C’est vers le milieu du VIIIe siècle
que des groupes appartenant à la tradition juridique de telle ou telle
cité ou province se définissent par rapport à l’enseignement d’un
maître. Il est alors question des «disciples d’Abou Hanifa» à Koufa, des
«disciples de Malik» à Médine, de ceux d’al-Awza‘i en Syrie, etc. De
ces différentes écoles, seules quatre survivront au sein du sunnisme au
XIIIe siècle et jusqu’à nos jours : les écoles hanbalite,
hanéfite, malékite et chaféite. Si elles divergent dans la manière
d’interpréter le Coran et la Sunna, elles partagent néanmoins une même
théorie de la loi. Elles se conçoivent les unes les autres comme
également légitimes, c’est-à-dire comme proposant chacune des
interprétations alternatives mais également valides. A partir du Xe siècle commencera à prévaloir le principe de l’imitation des décisions des anciens. Limitant fortement le champ de l’ijtihad ou
«effort [de réflexion personnelle basée sur les principes généraux de
l’islam]», ce principe d’imitation limitera l’activité juridique à
l’explication, l’application et, au mieux, l’interprétation, d’une des
quatre doctrines, hors desquelles aucune orthodoxie sunnite ne sera dès
lors concevable. Pourtant, la contrainte de l’imitation n’aura pas
raison de la diversité, de la divergence, parfois, au sein d’une même
école. Et si le consensus a un rôle régulateur, «la différence d’opinion
au sein de la communauté des musulmans est une bénédiction de Dieu»,
selon le mot célèbre du cheikh Abou Hanifa.
Article publié sur Zaman France (31 avril 2013).
Mots clés : Yusuf al-Qaradhawi, fatwa, juridiction islamique, Islam, Musulmans, Islam des mondes.
Mots clés : Yusuf al-Qaradhawi, fatwa, juridiction islamique, Islam, Musulmans, Islam des mondes.
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