mercredi 16 juillet 2014

La Zitouna, un des phares de la culture islamique

par Seyfeddine Ben Mansour

A Tunis, un conflit portant sur la gestion de la mosquée Zitouna oppose le ministère des Affaires religieuses au cheikh extrémiste Hocine Laabidi, imam autoproclamé de la vénérable institution. Dans un communiqué publié le 11 juillet, le parti centriste El Amen a appelé à la défense de l’institution millénaire, afin de la préserver de «l'influence de la pensée wahhabite et des imams appelant au jihad », menace pour «l'identité culturelle et religieuse du pays». La Zitouna est à Tunis ce que al-Qarawiyyin est à Fès et ce qu’al-Azhar est au Caire : un des phares de la culture islamique, une université qui pendant plus d’un millénaire a dispensé un savoir essentiellement religieux, mais aussi profane, et qui a formé des ulémas parmi les plus illustres. En 698, le conquérant omeyyade Hassan Ibn an-Nu‘man s’empare de l’exarchat byzantin de Carthage. En 703, à Tunis, il fait édifier une mosquée, probablement à partir d’une ancienne basilique byzantine dédiée à Sainte Olive (zaytouna, en arabe). Les souverains aghlabides la développent, à l'instar de celle de Kairouan, l’autre grand centre du savoir islamique de la Tunisie médiévale, lui ajoutant notamment une coupole en 864.
 
L'université d'Ibn Khaldoun
 

Mais il faudra attendre le XIIIe siècle pour que le prestige de la Zitouna surpasse celui de la célèbre mosquée ‘Oqba Ibn Nafi‘ de Kairouan, qui, en ce début de règne hafside entame un lent et inexorable déclin. Néanmoins, même à son apogée, la mosquée Zitouna n’exerça jamais de monopole sur le savoir religieux en Ifriqiyya, nom arabo-latin de la Tunisie au Moyen âge. Au contraire, dans un souci d’équité, les princes veillaient à nommer quelques-uns des ulémas les plus prestigieux hors de Tunis, dans des centres d’enseignement plus modestes. Dans son mode d’organisation, le contenu des disciplines enseignées, la méthodologie utilisée, le système d’enseignement de la Zitouna était comparable à celui des autres universités du monde islamique (madrasa-s), de Fès à Samarkand. Exégèse coranique, fiqh (jurisprudence islamique) et grammaire arabe constituaient le noyau du cursus. Les sciences profanes – la philosophie et la logique, mais aussi les sciences exactes, et notamment les mathématiques –, quoique moins importantes en terme de volume horaire, n’étaient pas absentes, loin s’en faut. Ibn Khaldoun, fondateur au XIVe siècle de la science historique et de la sociologie, et précurseur dans nombre d’autres domaines des sciences humaines, est issu de la mosquée Zitouna. A l’instar de milliers d’autres étudiants sur des dizaines de générations, – dont Muhammad Ben Arafa, éphémère roi du Maroc (1953-1955) mais grand uléma de Fès –, il y a reçu l’ijâza, diplôme de fin d’études qui autorise son détenteur à, à son tour, diffuser le savoir qui lui a été transmis.
 
Le lent déclin de l'institution
 

Au XIVe siècle s’amorce le lent déclin de la Zitouna, déclin que ne pourront freiner les Ottomans qui prennent le pouvoir au XVIe siècle, délivrant Tunis de l’odieuse occupation espagnole, qui avait vu la bibliothèque de la mosquée Zitouna saccagée par les soldats de Charles Quint, débarqués à La Goulette le 14 juillet 1534. Avec les nouveaux souverains, les deys, de nouvelles normes sont introduites en matière d’évaluation : al-riwâya (aptitude à la transmission du savoir) et ad-dirâya (aptitude au discernement). Autre nouveauté d’importance : l’introduction du droit hanéfite, les Ottomans étant rattachés à cette école juridique, contrairement au reste de la population, malékite dans son immense majorité. Aujourd’hui Zitouna a plus de prestige que de réelle autorité ; elle aura néanmoins été, des siècles durant, un des hauts lieux de la normativité malékite.

Article publié sur Zaman France (22 juillet 2013).

Mots clés : zitouna, malékite, ibn khaldoun, institution, Tunis, millénaire, hafsides, aghlabides, ottomans, hanéfite, Islam des mondes.

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