par Seyfeddine Ben Mansour
Dans une interview accordée à Zaman le 6 décembre dernier, Arshad as-Salihi, leader du Front turkmène irakien (FTI), a exprimé ses craintes de voir un jour «l’identité turkmène disparaître du fait de l’assimilation ou de l’émigration». En Irak, la communauté turkmène, la troisième du pays après les Arabes et les Kurdes, mais la seule qui ne dispose pas d’une milice armée, est en effet la cible régulière d’attentats. L’un d’entre eux a ainsi, dans un passé récent, coûté la vie au vice-président du FTI, Ali Hashim Muhtaroglu.
Ertoghrul, le père d'Osman Ier
Les Turkmènes ou Turcomans d’Irak descendent des nomades turciques (d’où leur autre nom de Yörük) venus par vagues successives du VIIe siècle à la fin de l’empire ottoman s’installer au nord de la Mésopotamie. Outre l’Irak, les Turkmènes sont présents dans le monde musulman depuis le Liban jusqu’en Afghanistan, en passant par la Syrie, la Turquie, l’Iran, l’Ouzbékistan et le Pakistan. Ils possèdent par ailleurs un Etat, le Turkménistan (5 millions d’habitants en 2012). Si l’islam pénètre dès 640 en Margiane (sud-est du Turkménistan) pour se diffuser plus à l’est encore sous les Omeyyades, l’islamisation effective des Turkmènes, quoique encore superficielle, ne commencera véritablement qu’à partir du Xe siècle. Elle sera néanmoins renforcée dès le siècle suivant par un autre phénomène, celui de l’émigration. Vaillants cavaliers, les Turkmènes émigrent en nombre pour intégrer les armées seldjoukides aux XIe-XIIe siècles. Ils viennent d’une région délimitée par les cours de l’Oural et de l’Irtych, la rive orientale de la Caspienne et la basse vallée du Syr Darya. L’un d’entre eux, Ertoghrul, arrivera ainsi de Merv (actuel Turkménistan) en Anatolie à la tête de 340 hommes pour prêter main forte au sultan seldjoukide de Konya, ‘Ala ad-Din, contre l’armée byzantine. Cet Ertoghrul aura un fils, qui n’est autre que Osman Ier, le fondateur de l’Empire ottoman…
Une structure tribale et nomade
Outre ces émigrations individuelles, des tribus entières quittent leur territoire de nomadisation à la marge du monde islamique pour s’installer en Perse, en Azerbaïdjan, en Asie mineure, en Irak, au Hedjaz, en Syrie, et jusqu’en Egypte. L’existence, de nos jours encore, de communautés pourvues d’une identité propre montre que ces Turkmènes installés à date ancienne ne se sont pas complètement fondues dans les populations locales. Le mode de vie pastoral a été en effet longtemps conservé : au début du siècle dernier, la tribu des Su‘aydiyyin, des Turkmènes du Liban qui faisaient remonter leurs ancêtres aux Seldjouks et aux Ottomans, nomadisaient encore dans la plaine de la Bekka. C’est ce phénomène qui a permis la préservation de la structure tribale, et, partant, d’une forte cohésion identitaire.
Concilier islam et croyances des steppes de l’Asie centrale
Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, la pratique de la transhumance (quête saisonnière de nouveaux pâturages) qui nie la réalité administrative des frontières, permettait aux Turkmènes de se soustraire à l’autorité de l’Etat, qu’il soit ottoman ou perse séfévide. C’est dans ce contexte d’indépendance de fait, favorisée par la rivalité, au XVIe siècle, entre la Perse et l’empire ottoman, qu’a pu se développer le syncrétisme religieux né à l’époque seldjoukide, et à travers lequel les Turkmènes ont pu concilier les pratiques et les croyances des steppes de l’Asie centrale, celles de leurs ancêtres, avec leur nouvelle religion, l’islam, sous sa forme sunnite ou chiite. C’est ce phénomène syncrétique qui mènera à terme à la constitution en Anatolie d’un islam hétérodoxe, l’alévisme.
Article publié sur Zaman France (16 décembre 2013).
Mots clés : Anatolie, Islam, hétérodoxe, Turkmènes, Turcomans, alévisme, Séfévides, ottomans, Seldjoukides, Osman Ier, Ertoghrul, Asie cenrale, Turkmenistan, Margiane, oural, Irtych, Caspienne, Syr Darya, Islam des mondes.
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