par Seyfeddine Ben Mansour
Pour
la première fois dans l’histoire de la République, huit députés issus
de la «diversité» ont été élus le 17 juin dernier, parmi lesquels cinq
sont originaires du Maghreb. Un mois plus tôt, le gouvernement formé par
Jean-Marc Ayrault comptait déjà quatre membres issus de l’immigration
et trois de l’Outre-mer. Ce phénomène nouveau montre notamment qu’il
s’en faut de beaucoup que l’égalité de droit se traduise par une égalité
de fait. Cette égalité de droit est elle-même très récente à l’échelle
de l’Histoire. Pendant longtemps, dans les sociétés multiethniques et
multiconfessionnelles, – comme l’étaient souvent les sociétés d’islam –,
le droit musulman, et plus généralement la morale islamique, ont
constitué le meilleur cadre légal et éthique en matière de
vivre-ensemble. En témoigne entre autres l’accession aux plus hautes
fonctions de l’Etat de chrétiens, de juifs, mais aussi d’anciens
esclaves (ainsi, les dynasties mameloukes). Le statut légal de dhimmî,
ou «protégé non musulman», à la fois inégalitaire et protecteur,
communautariste et tolérant, garantissait les biens, les personnes, la
liberté de culte ainsi que le droit pour les communautés de se gérer de
manière autonome, dans le cadre d’une loi générale englobante qui
institue la supériorité symbolique du droit islamique. Sur le plan
politique, ce statut aura notamment permis le maintien durable de
pouvoirs musulmans sur des populations très majoritairement non
musulmanes, comme ce fut le cas aux premiers temps de l’islam, grâce à
la participation des dhimmîs. Un jour que le calife ‘Umar
(586-590) rendait visite à Abû Mûsâ, son gouverneur à Kûfa, en Irak, ce
dernier lui apprend que son secrétaire est chrétien ; Umar s’en
offusque, mais Abû Mûsâ, pragmatique, le rassure : «sa religion est à
lui, son secrétariat est à moi»… La police du calife Mu‘âwiya (602-680)
est ainsi exclusivement composée de chrétiens.
L’entente cordiale entre Normands et musulmans
A Damas, capitale de l’Etat omeyyade, vaste empire qui s’étend de
Narbonne à l’Indus, la plupart des fonctionnaires sont chrétiens. Parmi
les hauts fonctionnaires, on compte Yuhannâ ad-Dimashqî (Saint Jean
Damascène), ministre des finances et futur Père de l’Eglise. Dans Tartîb al-madârik,
al-Qâdhî Iyâd relate l’accueil plein d’égards que fit Ismâ‘îl Ibn Ishâq
à ‘Abdûn Ibn Sâ‘id, ministre chrétien du calife abbasside al-Mu‘tadhid
bi-Llâh (892-902), rendant hommage à «cet homme [qui] veillait aux
affaires des musulmans». Sous le règne des Fatimides en Egypte (Xe-XIIe
siècle), où se sont notamment illustrés deux ministres dhimmîs,
– l’un chrétien, Bahram al-Armanî, l’autre juif, Abû Sa‘d al-Tustarî –
l’administration était copte et l’armée, multiethnique (Arméniens, Turcs
et Soudanais). A l’Ouest, au XIe siècle, Abû Ishâq Ibn an-Naghrîla et
son fils Abû Hussein se succéderont à la tête du Premier ministère du
royaume de Grenade. En 1465, le sultan mérinide Abû Muhammad ‘Abd
al-Haqq nomme également un juif, Hârûn Ibn Batash, au poste de Grand
vizir. On ne trouve nul exemple équivalent dans les Etats chrétiens
multiconfessionnels du Moyen âge, à l’exception notable de la Sicile
normande (XIe-XIIe siècle). Mais dans ce royaume où le roi et
l’aristocratie, d’origine viking, étaient arabophones à l’image de la
majorité de la population, qui était musulmane et juive, les usages
arabo-musulmans ont été largement maintenus : l’administration était
arabe, de même que l’essentiel de l’armée, ainsi qu’une partie du
gouvernement. L’historien musulman Ibn al-Athîr rapporte ainsi que les
musulmans «étaient traités avec bonté, et ils étaient protégés, même
contre les Francs. A cause de cela, ils avaient un grand amour pour le
roi Roger [II de Sicile]».
Tunis
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