par Seyfeddine Ben Mansour
Le récent réchauffement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis place l’Iran sous les feux de l’actualité. L’occasion, sans doute, pour le grand public de se rappeler quel passé prestigieux fut celui de la Perse musulmane. Et s’il est un nom entre tous qui évoque la splendeur passée des cités d’Iran, c’est sans conteste celui d’Ispahan, «la moitié du monde», comme dit un célèbre dicton persan (Esfahân nesf e-jahân). C’est sous le règne des Safavides que la ville va devenir «la plus grande et la plus belle ville de tout l’Orient» selon le Chevalier Chardin, un voyageur et écrivain français qui visita la Perse de 1664 à 1670.
«L'image du monde»
C’est en 1598 que Shah Abbas Ier, le grand roi de la dynastie safavide, décide de faire d’Ispahan la capitale de son empire. Au centre de cette ville, un grand vide : la place royale, autour de laquelle s’articule toute une série de bâtiments prestigieux. La conception de ce meydân (place) est révolutionnaire pour son époque. Elle précède de plus d’un siècle la place de la Concorde, qui n’a été créée que sous Louis XV. Sur le côté est de la place se dresse le dôme jaune de Naples de la splendide mosquée Cheikh Lotfollah. Lui fait face le pavillon de l’Ali Qapu ou «Sublime porte». C’est ce palais-porte qui commande l’entrée du complexe palatial appelé Naqsh-e Jahan ou «Image du monde». Dans le plan de Shah Abbas Ier, la ville se poursuit à l’ouest par une longue avenue bordée de jardins appelée le Tchahar Bagh ou «Quatre jardins». Pierre Loti, autre écrivain et voyageur français (1850-1923), la décrit comme «une promenade unique sur la terre, quelque chose comme les Champs-Elysées d’Ispahan [avec des] allées latérales bordées de pièces d’eau, de plates bandes fleuries, de charmilles de roses ; et, des deux côtés, des palais ouverts, aux murs de faïence, aux plafonds tout en arabesques et en stalactites dorées.»
Les cités du paradis
Dans Ispahan : image du paradis, l’historien de l’art et de l’architecture Henri Stierlin soutient la thèse originale selon laquelle, au-delà de ses ambitions de grandeur, de manière plus profonde, Shah Abbas Ier, voulait donner corps ici-bas aux conceptions coraniques des cités du paradis, telles notamment qu’elles ont pu être développées par les mystiques chiites duodécimains, dont Sohravardi (1155-1191). Le symbolisme du miroir, notamment, très présent dans la théosophie chiite, prend forme dans les différents plans d’eau qui occupent souvent une place centrale. Ainsi la mosquée Royale et la mosquée du Vendredi possèdent-elles quatre îwâns, quatre grandes niches voûtées au milieu des quatre façades autour du plan d’eau de la cour carrée, et donnant accès à une vaste salle. C’est dans cet espace à la fois clos et à ciel ouvert que se déploient les revêtements de faïence polychrome. Or le centre du bassin étant inaccessible, si on se place dans l’axe de l’un des quatre îwâns (correspondant aux quatre points cardinaux), on le contemple en même temps que son image inversée dans la pièce d’eau. Sur le plan mystique, ce reflet miroitant correspond au fait de faire passer l’image de la virtualité à l’acte. C’est là l’opération même qui pour les métaphysiciens de l’École de Sohravardi signifie la pénétration dans le ‘âlam al-mithâl, le «monde de l’image», le «huitième climat» ou monde intermédiaire entre le monde de l’Idée pure et le monde de la perception sensible.
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