par Seyfeddine Ben Mansour
A deux jours d’intervalle, tandis que l’Etat du Colorado a officiellement légalisé la possession de marijuana, le tribunal correctionnel de Belfort a condamné le 13 mars dernier Dominique Loumachi, 40 ans, à une peine de sursis et mise à l'épreuve pour «usage et détention» de cannabis. Atteint de myopathie depuis l'enfance, l’homme y avait recours pour soulager les terribles douleurs engendrées par la maladie. La justice française signifie ainsi son refus de reconnaître l’usage thérapeutique du chanvre indien, une pratique légale depuis les années 1990 dans plusieurs Etats américains. C’est en 1851 que le cannabis fait son apparition dans la pharmacopée américaine officielle, soit un peu plus d’un siècle après que son usage médical ait disparu en terre d’islam.
Des écrits sur le cannabis
Avec près d’un millénaire d’avance, du VIIIe au XVIIIe
siècles, les savants musulmans ont su tirer parti des propriétés
thérapeutiques du cannabis : diurétiques, antiémétiques,
antiépileptiques, anti-inflammatoires, analgésiques, antipyrétiques,
etc. Cette avance s’observait également sur le plan légal : si l’usage
de la plante était interdit en tant que drogue – la jurisprudence lui
appliquant, dans une large mesure, les dispositions légales relatives à
l’alcool, substance à laquelle le cannabis était assimilé par analogie (qiyâs)
–, son usage à des fins thérapeutiques était déclaré licite. Il est
assez significatif à cet égard qu’un grand savant comme Tabari
(839-923), généralement connu comme exégète et compilateur de hadiths,
mais qui s’est également intéressé à la médecine, ait écrit sur le
cannabis. Il l’a notamment décrit comme étant «froid», l’une des quatre
qualités élémentales de la médecine grecque, avec le chaud, le froid, le
sec et l'humide. C’est en effet à partir de la tradition humorale
grecque, et en en s’appuyant notamment sur les deux œuvres majeures que
sont le Materia medica de Dioscoride et le De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus de
Galien, que les savants arabes développeront leur connaissance du
cannabis. Et ce, très tôt, puisque les deux ouvrages sont traduits en
arabe sous le règne du calife abbasside al-Mutawakkil (847-861). Les
Grecs avaient eux aussi recueilli et développé le savoir des autres
peuples, comme en témoigne le nom même de la plante – cannabis en grec et qanib en arabe –, qui remonte à l’assyrien qunnabu, mot que l’on rencontre dans un texte mésopotamien du XVIIIe siècle avant Jésus-Christ.
L’apport des savants arabes
Le premier usage thérapeutique connu remontant 900 ans plus tôt, les
Chinois étant les premiers à avoir découvert les propriétés antalgiques
du cannabis. Ici comme ailleurs, l’apport spécifique des savants
arabo-musulmans aura consisté à approfondir – en les corrigeant,
parfois, en les systématisant, toujours – les connaissances éparses et
incomplètes de leurs prédécesseurs grecs, chinois ou indiens. Le premier
savant à mentionner le cannabis est Ibn Masawayh (mort en 857) qui
préconise l’emploi, sous forme de gouttes, de l’huile extraite des
graines afin d’ «assécher l’humidité» de l’oreille, autrement dit, comme
remède à l’otite. C’est également au IXe siècle
qu’al-Dimashqî découvre les propriétés vermifuges de la plante. A la
suite d’Ibn Masawayh, qui utilisait le jus extrait des feuilles,
Avicenne traitera au XIe siècle des affections
dermatologiques telles que le pityriasis et le lichen, pour lesquelles
il recommande l’huile des graines en application locale. Deux siècles
plus tard, Ibn al-Baytar expérimente avec succès l’utilisation de cette
même huile pour soulager les douleurs d’origine neurologique, tandis que
son contemporain al-Qazwini préconise celle de l’extrait de feuilles
pour apaiser les ophtalmies.
Article publié sur Zaman France (25 mars 2013).
Mots clés : haschich, cannabis, medecine arabe, Islam des mondes.
Mots clés : haschich, cannabis, medecine arabe, Islam des mondes.
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