lundi 21 juillet 2014

L'Hégire : à la conquête de la liberté religieuse

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 10 Ramadan de l'an 8 de l'Hégire, la Mecque est prise par le Prophète Muhammad. Sans coup férir. Muhammad aura ainsi démenti l’adage selon lequel «nul n’est prophète en son pays». Non sans peine, certes. A bien des égards, le parcours de l’Envoyé de Dieu est prodigieux : voilà un homme qui prêche pendant plus d’une décennie dans sa ville natale, pour en être finalement chassé lui et ses fidèles (autour d’une centaine, alors). Puis, après une autre décennie, le voilà devenu le maître de cette même Mecque, recevant, au-delà, l’allégeance et la conversion de toute l’Arabie !
 
La persécution puis l'Hégire
 
 Entre ces deux moments, il y a eu l’Hégire (622), l’émigration vers Médine des musulmans de la Mecque ; un groupe d’environ 70 fidèles, partis, de manière préventive, par petits groupes, et qui seront par la suite rejoints par le Prophète, Abou Bakr, Ali et leurs familles. La raison en est les persécutions dont faisaient l’objet les musulmans de la part des puissants Qurayshites. La caste de marchands polythéistes a supporté la prédication de Muhammad tant que son oncle, Abou Talib (le père de Ali) était leur chef. A sa mort, c’est Abu Lahab, l’un des plus farouches adversaires du Prophète, qui prend sa place. Les premiers fidèles de l’islam appartenant pour l’essentiel aux franges les plus vulnérables de la société mecquoise (jeunes, pauvres, esclaves), Muhammad a préféré les envoyer chez les Médinois, avec lesquels il venait de s’allier, et où, donc, ceux qu’on allait appeler les Muhâjirûn, les Emigrés, allaient pouvoir vivre leur foi librement, mais aussi, aux côtés de leurs frères médinois, les Ansâr, contribuer au triomphe de l’islam.
 
Continuité du discours coranique
 
 On a coutume d’opposer la période mecquoise de la prédication prophétique à sa période médinoise : la première serait spirituelle et de souffrance, la seconde, séculière, faite de guerres et de violences. La réalité est plus complexe, et plus profonde. Certes, la prédication mecquoise est pacifique, malgré les persécutions. Les sourates sont courtes et souvent d’une grande beauté. Les thèmes mettent en avant la responsabilité de l’homme en tant que créature de Dieu, le Jugement dernier, l’opposition paradis/enfer, la Nature comme signes, la solidarité vis-à-vis des pauvres, etc. Certes, les sourates de la période médinoise sont plus longues, plus ancrées dans le monde ici-bas, comme le montrent les passages de type juridique. Néanmoins, les deux périodes sont moins tranchées qu’il n’y paraît, essentiellement parce qu’il y a eu continuité du discours coranique : approfondissement de l’histoire sacrée, mise en place du rituel, appel à la moralité et à la crainte de Dieu, promesses et menaces liées à l’au-delà, etc. Autrement dit, parce qu’il y a eu continuité du noyau religieux central de la prophétie, qui est à facettes multiples : arbitrage et pacification à l’intérieur de Médine, où naît le concept de Umma (communauté de croyants) dans un contexte pluriconfessionnel (tribus juives, notamment), géré par un Prophète législateur, arbitre des conflits et intercesseur entre les croyants et Dieu. L’autre facette, celle dirigée vers l’extérieur, s’exprime elle par la guerre, notamment contre Quraysh. L’interaction entre exigences internes et externes conduira, historiquement, à la défaite finale de Quraysh, et au triomphe de l’islam dans la région et bientôt dans l’ancien monde connu.

Article publié sur Zaman France (30 juin 2014).

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