par Seyfeddine Ben Mansour
Le
31 mai dernier, Etienne Naveau, chercheur affilié au CNRS, a présenté à
la Maison de l’Asie une communication intitulée «L’intraduisible nom de
Dieu. Le contrôle du vocabulaire théologique chrétien par les autorités
malaisiennes». Le 31 décembre 2009 en effet, la Cour suprême de
Malaisie mettait fin aux mesures interdisant aux non musulmans
d’employer dans leurs publications des termes considérés comme
«spécifiquement musulmans», parmi lesquels le nom Allah. Le terme, issu
de l’arabe, est pourtant le mot malais qui signifie en propre «Dieu», et
à ce titre, a toujours été employé dans les Bibles en malais. La
décision de justice a donné lieu quelques jours plus tard à de violentes
attaques contre des églises du pays, dues à des musulmans radicaux.
Etienne Naveau a souligné à cet égard la «fureur de se distinguer»
propre à certains musulmans. Il conviendrait sans doute d’y ajouter la
«fureur de distinguer», si commune en Occident lorsqu’il s’agit d’islam.
En effet, pour beaucoup, Allah désigne «le Dieu des
musulmans». Ce qui est doublement faux. Tout d’abord, du point de vue
musulman, l’islam étant une religion universelle, il n’est qu’un Dieu,
et il est celui de tous les hommes, qu’ils suivent, ou non, les
enseignements de Son Prophète.
Allah, Dieu des juifs, chrétiens et musulmans…
Ensuite, comme l’illustre le cas malais, pour nombre de fidèles d’autres religions, le terme Allâh
(sous ses différentes formes locales) est le nom par lequel chacun, de
manière exclusive ou non, désigne, invoque, prie Dieu l’Unique. C’est
notamment le cas des arabophones non musulmans, qu’ils soient Arabes
chrétiens, Juifs mizrahim, ou encore Maltais (Européens catholiques
parlant un idiome dérivé de l’arabe tunisien, et dans lequel Dieu se dit
«Alla» et carême, «ramdan»). Il s’agit là d’un phénomène
d’acculturation lié à l’expansion de la civilisation islamique, et, plus
précisément, à la diffusion de la langue qui en constitue le support
conceptuel, l’arabe. Car le nom Allâh est avant tout un nom arabe. Etymologiquement, il s’agit de la contraction de l’article défini al-, «le», et du nom commun ilâh, «dieu» : «le dieu». Allâh désignait en effet, à l’époque anté-islamique (al-Jâhiliyya)
une divinité polythéiste de rang supérieur au sein d’un panthéon
mecquois : le père des trois déesses al-Lât, al-’Uzza et Manât. Lors de
la révélation de la sourate de l’Etoile (LIII), Satan (Iblîs)
aurait dicté au Prophète des versets recommandant qu’on rende un culte à
ce que les Mecquois appelaient les «filles d’Allâh» dans un récit
considéré comme faux, et que relate sans y apporter sa caution
l’historien et exégète at-Tabarî. Ces versets, d’abord prononcés, seront
abrogés après l’intervention de Gabriel. Il s’agit des fameux «versets
sataniques». Le biographe du Prophète Ibn Hishâm (m. 833) et l’exégète
al-Baydhâwî (m. 1287) rappellent par ailleurs que lors du traité de paix
de Hudaybiya conclu en 628 entre Muhammad et les païens, les Mecquois
avaient refusé la formule Bi-smi Llâhi ar-Rahmâni ar-Rahîm, voyant dans l’appellatif ar-Rahmân une «invention» du Prophète. Le compromis a consisté à la remplacer par Bi-smika yâ Allâh, «En ton nom, ô Dieu», vieille forme mecquoise. Enfin, on se souvient que le nom du père du Prophète lui-même était ’Abd Allâh. Avec l’avènement de l’islam, le nom Allâh
désignera un sens radicalement autre : Dieu l’Unique, expression la
plus pure du monothéisme, Dieu universel auquel sont attachés «les plus
beaux attributs» (VII:180), ces 99 épithètes qui permettent à l’esprit
humain d’appréhender malgré sa finitude l’Etre parfait qui subsiste par
lui-même. Le nom Allâh est désormais suivi des formules ’azza wa-jalla, «grand et majestueux» ou jalla jalâluhu «grande est Sa majesté».
Article publié sur Zaman France (01 juin 2012).
Mots clés : Appellation Dieu, allah, Malaisie, non musulmans, acculturation, etienne naveau, Islam des mondes.
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