par Seyfeddine Ben Mansour
A l’appel de plusieurs partis de gauche, environ 150 à 200 personnes ont
défilé jeudi 25 octobre à Poitiers «contre la xénophobie». La
manifestation entendait répondre à l’occupation, samedi matin, de la
future grande mosquée de la ville par environ 70 militants du groupe
d’extrême-droite Génération identitaire, qui avaient notamment hissé une
banderole arborant la date de 732, en référence à la victoire de
Charles Martel. Quatre de ces militants ont été mis en examen, notamment
pour incitation à la haine. La bataille de Poitiers se prête certes
d’autant mieux à l’exploitation idéologique que son statut est hybride :
à mi-chemin entre le fait historique et le mythe fondateur.
Emblématique, la formule 732 : Charles Martel arrête les Arabes à Poitiers est censée représenter la victoire sans appel de la Chrétienté et de cette nation en germe qui plus tard sera appelée France.
La réalité historique, est, quant à elle, infiniment plus complexe.
D’une part, la colonisation du midi de la France par les Arabes a
précédé et suivi la bataille de Poitiers : de la prise de Narbonne en
719 à la destruction en 975 de l’enclave arabe du Fraissinet, elle
s’étale sur plus de deux siècles. D’autre part, il est douteux que les
Arabes aient jamais eu le projet de s’implanter dans des régions pour
eux aussi septentrionales : la bataille de Poitiers était à l’origine un
raid mené par ‘Abd ar-Rahman, gouverneur en chef de l’Andalousie, et
destiné à piller la région ; non à la coloniser. On sait du reste que
Charles Martel avait laissé à dessein les armées arabes s’alourdir de
butin à mesure de leur progression depuis Pampelune au sud, afin de
tirer parti de ce handicap de manière décisive une fois parvenus aux
environs de Tours. La norme dans la stratégie coloniale arabe était en
effet d’éviter les exactions, pour au contraire se concilier les
populations soumises, notamment au travers d’une politique de tolérance.
C’était notamment le cas de la province d’Arbouna (Narbonne), dernière
des six provinces arabes dépendant de Cordoue. A sa tête, en 734, le
gouverneur Yusuf Ibn ‘Abd ar-Rahman concluera un traité avec le duc de
Provence aux termes duquel le premier occupera un certain nombre de
places fortes dans la vallée du Rhône afin de protéger la Provence… des
attaques de Charles Martel.
L’héritage arabe des villes françaises
La province, qui correspond grosso modo à l’actuel
Languedoc-Roussillon, comprend notamment, outre sa capitale, Arbouna
(Narbonne), les villes d’Ajda (Agde), Bazyih (Béziers), Nima (Nîmes),
Majlouna (Castelsarrasin) et Qarqachouna (Carcassonne). La division
administrative arabe disparaîtra en 759, tout comme disparaîtra en 975
le micro-Etat de Farakhchinit (Fraissinet), fondé en 891 dans le golfe
de Saint-Tropez et qui étendra son influence jusqu’aux Alpes et au
Piémont. Néanmoins, il s’en faut que la disparition de ces structures
politiques coloniales n’ait entraîné celle des musulmans du midi de la
France. Les traditions orales sont riches en attestations de la souche
arabe de nombre de populations locales, jusque dans les Alpes et le
Jura. «Nous […] avons vu ces familles au teint brun, aux coutumes
bizarres, au nom sans contredit oriental, et qui se disent elles-mêmes
arabes […]» souligne ainsi l’historien A. Vingtrinier en 1862. Parmi les
stèles funéraires datant des XIe et XIIe siècles découvertes dans l’Hérault et à Montpellier, celle d’un juriste (faqih),
preuve de l’existence à cette époque tardive d’une communauté
structurée. Enfin, la toponymie est par endroits, clairement arabe :
ainsi la Moïe (miyah, «eaux»), petit torrent dans la Drôme, Almanarre, quartier d’Hyères où se dressait autrefois un phare (manar), ou encore, non loin de là, le village de Ramatuelle, de l’arabe rahmat Allah, «divine miséricorde».
Mots clés : 732, arabes, Charles, Martel, Islam des mondes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire