mardi 15 juillet 2014

Esclaves musulmans : la première mémoire des Afro-américains

par Seyfeddine Ben Mansour

Ce 10 mai marque le 165e anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France. Des siècles durant, néanmoins, le commerce triangulaire aura contribué à asseoir la puissance économique de pays comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Il était schématiquement organisé comme suit : objets de pacotille européens contre esclaves en Afrique de l’Ouest ; en Amérique, esclaves contre produits agricoles et matières premières  ; de retour en Europe, métaux précieux, coton, café, tabac, sucre et cacao revendus à prix d’or. De 10 à 15 millions de personnes ont été ainsi réduites en esclavage, dont, d’après les estimations, 20 à 30 % étaient musulmanes. Qu’ils soient à l’origine monothéistes ou animistes, les esclaves étaient convertis de force au christianisme, la religion du maître, dont ils devaient en outre porter le nom de famille précédé d’un prénom chrétien, symboles de leur servitude.

L’islam américain est le produit de conversions

Si pratiquement aucun de ces musulmans n’a pu transmettre sa religion à sa descendance, ‒ comme en témoigne le fait que l’islam noir aux Etats-Unis aujourd’hui est le produit de conversions ‒, il n’en demeure pas moins que certains ont résisté, avec les moyens souvent dérisoires qui étaient les leurs. Leurs textes et leurs actes témoignent de la foi inébranlable d’hommes à qui a été nié jusqu’au statut d’être humain. Cet héritage à la fois humble et noble constitue aujourd’hui la première mémoire des Noirs musulmans des Etats-Unis. Ainsi, l’autobiographie ‒ intégralement rédigée en arabe ‒ d’Omar Ibn Said (1770-1864) débute-t-elle par la citation de la sourate LXVII (al-Mulk), dans laquelle est exprimée, en substance, l’idée que Dieu seul a souveraineté sur les êtres humains. Né au Fouta-Toro, dans l’actuel Sénégal au sein d’une famille de riches marchands, Omar Ibn Said (alias Omaroh, Monroe ou encore Moreau) est un érudit musulman qui a étudié le Coran et les sciences religieuses durant vingt-cinq années avant d’être capturé et vendu comme esclave en Amérique. Si son premier maître appartenait à cette race d’humains qui «ne craignent pas Dieu», comme il l’écrit, les Owen, ses derniers maîtres, le traitent davantage en ami qu’en serviteur. Ils lui offrent un Coran en anglais afin qu’il maîtrise l’écrit, puis une Bible en arabe, dans l’espoir qu’il se convertisse au christianisme.

Omar Ibn Said, le premier symbole de cette histoire
 
Omar Ibn Said assistait de fait à l’office presbytérien avec le reste de la famille. Mais les spécialistes sont partagés sur la sincérité de cette conversion. Il est établi, par exemple, qu’Omar Ibn Said a refusé l’offre qui lui a été faite de retourner en Afrique afin d’y officier en qualité de missionnaire. Depuis 1991, une mosquée de Caroline du Nord porte son nom : la Masjid Omar Ibn Said. Dans les 14 manuscrits, tous rédigés en arabe, qui nous sont parvenus, le mot Allah est employé avec une grande fréquence. Son legs majeur, une autobiographie riche d’informations sur la période africaine de sa vie, Omar Ibn Said en a envoyé une copie en 1836 à Lamen Kebe, un autre musulman également originaire du Fouta-Tora. mais qui, affranchi, préparait depuis New York son retour au pays. Homme pieux qui, dès qu’il en a eu le loisir, s’est consacré à l’enseignement des préceptes de l’islam, Lamen Kebe (alias Abd al-Amin ou Paul) fera partie des fondateurs du Liberia, un Etat créé en 1822 pour servir de foyer national à des esclaves noirs libérés. Outre ces deux noms, l’histoire du premier Islam américain aura conservé, à travers les textes narratifs, et souvent autobiographiques qu’ils ont légués, ceux de Abu Bakr Said, Bilali Muhammad, Muhammad Said, Salih Bilali et Ayuba Suleiman Diallo (Job Ben Solomon).

Article publié sur Zaman France (30 mai 2013).

Mots clés : abolition de l’esclavage, États-Unis, Musulmans, Omar Ibn Said, Lamen Kebe, Fouta-Tora. Abu Bakr Said, Bilali Muhammad, Muhammad Said, Salih Bilali, Ayuba Suleiman Diallo, Job Ben Solomon, Islam des mondes.

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