par Seyfeddine Ben Mansour
La justice américaine a condamné le 13 janvier dernier Umar Farouk Abdulmutallab à la réclusion à perpétuité. Le Nigérian avait tenté de se faire exploser à bord d'un avion de ligne entre Amsterdam et Detroit le jour de Noël 2009. Il a affirmé avoir voulu ainsi accomplir un «djihad» contre les Etats-Unis pour venger les attaques commises par ces derniers contre les musulmans. La notion de jihâd est bien représentée dans le Coran : plus de deux cents occurrences dans les quelque 6235 versets qui le constituent. Il s’en faut beaucoup, pour autant, que cette notion soit univoque.
Un spectre qui va de l’ascèse à l’affrontement
Le mot jihâd, et plus généralement les dérivés de la racine arabe JHD, dessinent un large spectre sémantique qui va de l’ascèse à l’affrontement, de l’effort individuel à la guerre normée. Etymologiquement, la racine JHD contient l’idée d’effort. Ainsi, le verbe jâhada signifie-t-il «faire des efforts», mais aussi «faire la guerre à quelqu’un pour le forcer à quelque chose». Dans le contexte coranique, l’idée de finalité contenue dans ces acceptions s’appliquera de manière exclusive à Dieu l’Unique : «Ô vous qui croyez ! […] Déployez vos efforts pour Sa cause, ainsi vous réussirez !» (V:35). Ou encore : «Dieu fera surgir un peuple […] s’efforçant sur le chemin de Dieu, sans la crainte d’aucun reproche. Telle est la grâce de Dieu » (V:54). Le croyant est donc décrit comme aspirant à rencontrer Dieu. Cette aspiration est effort, et cet effort, une grâce de Dieu, non un impératif extérieur. Le croyant canalise son énergie, emploie au mieux ses capacités, pour s’investir tout entier dans le plus noble des projets : se rapprocher de l’Unique.
Des concepts juridiques, politiques ou mystiques majeurs
La racine JHD ainsi orientée, deux de ses dérivés connaîtront en Islam une grande fortune, ceux de jihâd et d’ijtihâd, devenant des concepts juridiques, politiques ou mystiques majeurs. L’ijtihâd est un «effort d’interprétation du Coran» visant à extraire des normes juridiques, c’est-à-dire à appréhender la dimension temporelle (sociale, éthique, politique) du message divin. S’il peut être personnel, il est le plus souvent le fait des ulémas, de spécialistes qui pourtant n’en usent qu’avec le plus grand scrupule. Ibn al-Qâsim, un élève de l’imam Malik (qui a donné son nom à l’une des quatre écoles juridiques du sunnisme, le malékisme), raconte ainsi que son maître était connu pour ses «je ne sais pas», et qu’il avait passé plus de vingt ans à réfléchir à une question sans guère trouver de réponse qui le satisfasse.
Du jihâd mineur au jihâd majeur
Quant au jihâd, il désigne la lutte multiforme que doit mener le croyant pour faire régner les droits de Dieu sur terre, ‒ et d’abord dans son propre cœur. D’où l’opposition entre petit et grand jihâd ‒ entre guerre offensive ou de résistance et combat spirituel et intellectuel ‒, qui rappelle qu’avant de chercher à imposer un credo à autrui, il faut d’abord avoir vaincu les démons de son propre ego, avoir combattu ses passions. Revenu d’une de ses campagnes armées, le Prophète a ainsi déclaré : «Nous voici revenus du jihâd mineur pour nous livrer au jihâd majeur ». Qu’il soit défensif (guérilla, résistance) ou offensif (guerre de conquête), le jihad mineur n’en est moins pas soumis à une stricte codification qui le rapproche du concept moderne de «guerre juste», et l’éloigne d’autant des réélaborations dont l’ont affublé le salafisme dit «djihadiste» et plus généralement le wahhabisme. D’autant que, comme le souligne le grand al-Ghazâlî, en comparaison de l'amélioration de soi et de la réforme des mœurs que permet l’effort sur soi, le jihâd armé est «pareil à un léger souffle de vent sur une mer agitée».
Article publié sur Zaman France (20 janvier 2014).
Mots clés : jihad, ijtihad, malékisme, Malik, ascèse, guerre, effort, Islam, sunnisme, exégèse, Coran, Ghazali, mineur, majeur, Ibn al-Qâsim, Islam des mondes.
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