par Seyfeddine Ben Mansour
Joseph Dreher vient de publier aux éditions IFPO un ouvrage sur la lumière (nûr)
de Muhammad et la question de la transmission de l’essence prophétique.
Il s’agit d’une édition critique du traité du grand savant bosniaque
‘Abd Allah al-Busnawi (1584-1644), cheikh de la confrérie bayramiyye et
écrivain de l’école spirituelle de Ibn al-‘Arabi.
Territoire relativement exigu, la
Bosnie-Herzégovine a proportionnellement produit un grand nombre de
savants. Leurs ouvrages, rédigés en arabe, langue du savoir en islam,
concernent essentiellement les sciences religieuses (al-Busnawi), mais
aussi le droit (Hasan Kafi) ou encore l’historiographie (Ibrahim
Pecewi). Si la langue turque n’est pas absente, elle concerne
essentiellement la poésie (Derwish Pasha).
La religion des seigneurs
Sunnite de rite hanéfite, l’islam bosniaque ne se distingue guère de
celui de la métropole. De même, l’urbanisme (avec l’opposition quartiers
résidentiels / centres commerciaux), l’architecture des mosquées (type
Sinan), les institutions éducatives (mektebs et medreses) ou encore les équipements publics (hammâms) sont-ils assez classiquement ottomans.
L’originalité de l’Islam bosniaque se situe
ailleurs, au plan socio-politique, avec une conversion essentiellement
«par le haut», un phénomène rare dans l’histoire des religions. En 1910
encore, soit après quatre siècles de domination ottomane (1463-1878),
91,1 % des propriétaires terriens qui ont à leur service des paysans
sans terre sont musulmans, 6,1 % sont orthodoxes et 2,5 %, catholiques.
Ces paysans sans terre sont à 73,9 % orthodoxes, à 21,5 % catholiques et
seulement à 4,6 % musulmans.
Enfin, les paysans libres sont musulmans à 56,6 %,
contre 25,9 % pour les orthodoxes et 16,7 % pour les catholiques. Le
phénomène remonte aux premiers temps de la conquête ottomane. A l’époque
de Soliman le Magnifique déjà (1520-1566), l’ensemble de l’aristocratie
locale était devenue musulmane. En passant en masse, quoique de manière
progressive, à l’islam, les nobles bosniaques ont pu en effet conserver
leur statut social de guerriers et de propriétaires terriens.
Le nouveau pouvoir veillera en outre à doter de
terres des chefs roturiers locaux, néo-convertis qu’il enverra notamment
coloniser les riches terres de Hongrie. Liée au pouvoir colonial par un
intérêt de classe, l’élite politico-militaire sera d’une loyauté sans
faille.
La douloureuse dislocation de l'Empire ottoman
Né Stjepan Hercegovic, Hersekzade Ahmed Pasha est ainsi le fils de Stjepan Vukcic Kosaca, Grand duc d’Herzegovine. Le noble bosniaque s’élevera ainsi à la plus haute charge de l’Empire, puisqu’il sera à cinq reprises nommé Grand vizir (Premier ministre) sous les règnes de Bayazid II et Selim I. Les cas similaires sont nombreux.
Mehmed Pasha Sokollu (Sokolovic), homme d’Etat
ottoman par excellence, ‒ il a notamment été Grand vizir de 1564 à 1579
‒, appartenait à une grande famille de l’aristocratie serbe qui a donné
plusieurs patriarches à l’église de Serbie. Souvent en effet, les liens
de parenté ont contribué à la prospérité des membres de la famille
restés chrétiens.
Néanmoins, au fil du temps, c’est l’appartenance
religieuse qui se révèlera déterminante. La dislocation de l’Empire
ottoman n’en sera que plus douloureusement vécue par ces musulmans
autochtones que leurs compatriotes orthodoxes et catholiques
considéraient comme des Turcs, des colons, des étrangers, et, au mieux,
des renégats. Sommés de se définir en ce XIXe
siècle nationaliste, ils feront de l’islam leur identité nationale, ne
se revendiquant plus Serbes ou Croates, mais simplement Musulmans.
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