lundi 21 juillet 2014

Prénoms et patronymes du monde arabo-musulman

par Seyfeddine Ben Mansour

Les noblesses du nom : essai d’anthroponymie ottomane, paru aux éditions Brepols, est le dernier ouvrage de l’historien Olivier Bouquet. Il y montre notamment comment à partir des nomenclatures turques, arabes et persanes, les Ottomans inventèrent leurs propres modes de désignation. Dans l’usage arabo-musulman tel qu’il se met en place dès l’institution du califat, un individu est désigné par une suite de cinq noms, appartenant chacun à un type différent.
 
La kunya, l'ism et le nasab

Premièrement, la kunya, un nom dont le premier élément est Abû, «père», ou Umm, «mère». Ainsi le Prophète, devenu père d’un fils, Qâsim, était-il devenu Abû al-Qâsim. Cette kunya célèbre est à l’origine du prénom/patronyme Belkacem. Lorsque le second élément n’est pas le prénom d’un enfant, mais une qualité, le tout s’entend au figuré : Abû al-Mahâsin signifie ainsi «Celui aux Vertus».

Deuxièmement, l’ism, le nom personnel. On trouve ici une grande variété formelle. Des noms, des adjectifs, des participes : Fu’âd, «Cœur», Farîda, «Unique», Fâtih, «Conquérant». Des noms antéislamiques, qui ont survécu parce qu’ils ont été portés par le Prophète – Muhammad, «Loué», Mustafà, «Elu» –, des membres de sa famille – ‘Abbâs, «Lion» –, ou des figures majeures de l’islam du premier siècle (‘Umar, ‘Alî, ‘Uthman, etc.). Des noms hébraïques, sous leur forme coranique : Ibrâhîm (Abraham), Sulaymân (Salomon), Yahya (Jean), etc. Des composés dont le second élément est le nom de Dieu, ou l’un de ses 99 attributs : ‘Abd Allâh, «Serviteur de Dieu», ‘Abd al-Qâdir, «Serviteur du Puissant», etc. Des noms issus de la tradition des peuples conquis à l’islam : berbère (Yidder), persane (Khusraw, Rustam), turque (Arslan, Timur). Les derniers apparaissent vers le XIe siècle, avec les migrations turciques en Anatolie, en particulier seldjoukides et oghouzes. Portés par des chefs militaires, on les rencontre dans nombre de chroniques médiévales liées à l’Egypte et à la Syrie, jusqu’à la tardive période mamelouke (XVIe siècle). Ils tombent en désuétude sous l’empire ottoman, avant d’être remis à l’honneur au XXe siècle par les nationalistes turcs. On y trouve des éléments appartenant au fond turcique le plus ancien, notamment des noms de prédateurs : Babur, Bay-Bars, Alp-Arslan, Sonkur, Er-Toghril. Des noms à valeur propitiatoire, exprimant le vœu des parents : Yeter, «Assez», après une succession de filles, et donc l'absence d'héritier mâle. La période ottomane forgera des noms à partir de notions abstraites (Tewfiq, Hikmet), en y joignant parfois le suffixe -i (Selâmi).

Troisièmement, le nasab, la chaîne généalogique, où le nom du père suit la mention «fils», en arabe et en berbère (Ibn, Aït), ou la précède, en turc et en persan (-oğlu, -zâdê) : ainsi Rabî‘ Ibn Zayd, nom de l’évêque d’Elvire dans l’Espagne omeyyade, ou plus près de nous, Tugay Kerimoğlu, nom d’un célèbre footballeur turc.

 
La nisba et le laqab

Quatrièmement, la nisba, nom de relation, qui lie l’individu à un lieu, soit parce qu’il y est né – al-Bukhârî, «le Boukhariote» (nom du grand compilateur de hadiths), al-Qurtubî, «le Cordouan» (nisba du philosophe juif Abû ‘Imrân Mûsâ Ibn ‘Ubayd Allâh Maymûn, dit «Maïmonide») –, qu’il y a vécu – ar-Rûmî, «le Byzantin» (nisba de Mevlana, après qu’il se soit établi en Anatolie, ancien territoire byzantin), ou qu’il y a séjourné (cas fréquent chez les savants, grands voyageurs en Islam).

Enfin, le laqab, surnom, pointe une caractéristique physique – al-Aswad/Kara (Lenoir) –, ou sociale – al-Haddâd/Demir (Lefebvre, c'est-à-dire, "Le Forgeron"). Le laqab a notamment permis de créer un grand nombre de titulatures, les unes exaltant le pouvoir temporel – ‘Imâd ad-Dawla, «Pilier de l’Empire» (nom du fondateur de la dynastie bouyide en Iran au Xe siècle) –, les autres, le pouvoir spirituel – Sayf ad-Dîn, «Epée de la Religion» (nom d’un sultan mamelouk d’Égypte au XIIIe siècle). Les composés de la seconde forme sont aujourd’hui des prénoms.

Article publié sur Zaman France (05 mai 2014).

Mots clés : ism, Islam, kunya, nasab, nisba, laqab, anthroponyme, onomastique, Arabe, Turc, persan, Musulmans, propitiatoire, chaîne, généalogique, nom, prénom, surnom, relation, Islam des mondes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire