par Seyfeddine Ben Mansour
Le
18 août dernier, le média en ligne Tiwinoo relatait un fait divers à la
fois «drôle et triste» : un jouet pour enfants a provoqué l’ire des
salafistes tunisiens. Il s’agit d’un pistolet en plastique qui,
lorsqu’on appuie sur sa gâchette, diffuserait le message suivant : Go ! go ! go ! w-idhrab as-sayyida ‘Â’isha !, «Vas-y ! vite ! vite ! et tue ‘Â’isha !».
Enclins aux théories du complot, les wahhabites tunisiens y ont vu
quelque manœuvre sournoise des chiites destinée à pervertir leurs
enfants… En réalité, le message appelait à sauver des otages (pull over and save the hostages !).
‘Â’isha, l’épouse du Prophète – «la Mère des croyants», pour l’ensemble
des sunnites – demeure pour les chiites celle qui s’était opposée à
‘Alî, leur premier imâm. A l’origine du grand schisme qui, au
VIIe siècle, va scinder la jeune communauté musulmane en sunnites,
chiites et kharijites, la question de la succession califale, centrée
autour du personnage de Ali Ibn Abi Talib, cousin, gendre et compagnon
du Prophète. Succédant à Othman à la tête de l’Etat islamique, Ali, et, à
sa suite, ses partisans, considèrent que seul un descendant du Prophète
peut assumer la fonction califale. Ils s’opposent en cela aux sunnites,
qui élargissent le cercle à l’ensemble des membres de Quraysh, la tribu
de Muhammad. Pour les kharijites enfin, tout musulman, pour peu qu’il
en soit digne, peut prétendre à l’éligibilité califale.
L’imâm est infaillible pour les chiites
A l’image de ce qui l’a fait naître, la divergence entre chiites et
sunnites est d’ordre théologico-politique et centrée sur la figure de l’imâm.
Pour les sunnites, le calife est essentiellement un souverain temporel.
Son titre de Commandeur des croyants ne correspond pas à un magistère
religieux, mais est lié au cadre islamique de l’Etat, cadre dont il lui
incombe d’assurer la pérennité. Chez les chiites, le calife est imâm,
et il a trois fonctions : diriger la communauté ; rendre compte des
sciences religieuses et des lois ; être un guide spirituel pour les
fidèles, qui à travers lui accèdent au sens caché des choses. Car, si le
«cycle de la prophétie» s’est achevé avec la mort du Prophète, celui de
l’«initiation» se poursuit à travers la personne de l’imâm.
Pour toutes ces raisons, il ne saurait être choisi par le biais d’une
élection. Chaque imâm est désigné par son prédécesseur, en vertu d’un
«commandement divin». De par sa fonction à la fois humaine et cosmique,
il est infaillible et connaît les choses cachées. Ce savoir ésotérique,
intime, Dieu l’a secrètement communiqué à Muhammad lors de son
Ascension, Muhammad à ‘Alî, et ainsi chaque imâm à son
successeur. Aussi leur autorité doctrinale fait-elle définitivement loi
pour l’interprétation du Coran et de la Sunna. Pour les sunnites,
l’infaillibilité est le fait des prophètes et Dieu seul a connaissance
des choses cachées ; quant aux interprétations, leur validité, par
ailleurs relative, résulte d’un consensus. Ainsi, alors que dans le
sunnisme la relation entre le croyant et Dieu est directe, le chiisme
suppose un clergé. Dans sa forme duodécimaine (95 % des chiites), la
hiérarchie est la suivante : simples mollâhs, hujjat al-islâm, âyatu Llâhs
(collège de docteurs de la foi), et enfin, au sommet de la pyramide,
l’âyatu Llâh suprême. En Iran, ce clergé – qui, historiquement,
constitue un corps social très autonome, et largement indépendant, sur
le plan économique, de l’appareil étatique – a dans une large mesure
réussi à instaurer le velâyat-e faqih, le «gouvernement du docte», pouvoir éminemment temporel.
Mots clés : chiisme, imam, sunnisme, calife, clerc, cycle de la prophétie, Islam des mondes.
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