jeudi 17 juillet 2014

Califat almohade : austère empire à cheval sur l’Europe et l’Afrique

par Seyfeddine Ben Mansour

Les historiens Pascal Buresi et Hicham el Aallaoui ont fait récemment paraître aux éditions Casa de Velazquez un essai intitulé  Gouverner l’Empire : la nomination des fonctionnaires provinciaux dans l’Empire almohade (Maghreb, 1224-1269). Un important corps de fonctionnaires servait en effet le califat almohade (1147-1269), Etat fortement centralisé autour de sa capitale, Marrakech. Succédant à l’empire almoravide (1040-1147), l’Etat almohade est un vaste empire euro-africain s’étendant de l’Espagne au nord à l’actuel Sahara occidental au sud et à la Libye cyrénaïque à l’ouest.
 
Des points communs avec les Almoravides

Avec les Almoravides qu’ils ont détrônés, la dynastie almohade partage deux caractéristiques. La première est de se poser en défenseur de l’islam dans un contexte marqué par l’avancée chrétienne : en 1085, la prise de la cité musulmane de Tolède (située à 70 km au sud de Madrid) par Alphonse VI de Castille-Léon provoque l’intervention des Almoravides ; en 1212, c’est le calife almohade en personne, Yusuf Ier, qui meurt au cours de la bataille de Las Navas de Tolosa, l’un des nombreux épisodes d’une guerre d’Etat de près de deux siècles contre les ambitions hégémoniques des royaumes chrétiens du nord. La seconde est qu’il s’agit d’Etats fondés par des Berbères adeptes d’un mouvement religieux à l’origine duquel on trouve un prédicateur (‘Abd Allah Ibn Yasin dans le cas des Almoravides, Muhammad Ibn Tumart dans les cas des Almohades).

 
Mais des divergences doctrinales...

Aussi, les différences, nombreuses, commencent-elles au niveau doctrinal : alors que ‘Abd Allah Ibn Yasin (m. en 1059) se place d’emblée dans le cadre de l’orthodoxie malékite (aujourd’hui très largement majoritaire au Maghreb), Muhammad Ibn Tumart (1080-1130), rejette quant à lui l’appartenance à une école juridique spécifique. Se faisant le héraut d’un islam rigoriste bâti autour du concept central d’unicité divine (tawhîd, d’où Almohades, francisation de al-Muwahhidûn, les «Unitaires»), il proscrit le recours à l’appréciation individuelle (dhann) en matière juridique, et va jusqu’à se proclamer Mahdi en 1120, c’est-à-dire ici, Guide infaillible de la communauté, à la fois chef spirituel et temporel.

 
… et des conflits politiques

C’est là une conception très proche de celle des chiites, sans doute acquise lors de ses années de formation en Orient, où Ibn Tumart a suivi les cours des plus grands maîtres d’Alméria à Bagdad en passant par la Mecque. Le grand al-Ghazali lui-même en ferait partie, d’après Ibn al-Qattan, qui raconte qu’ayant appris que son ouvrage majeur, Revivification des sciences de la religion, avait été brûlé sur décision d’un juge cordouan, un certain Ibn Hamdin, le maître avait appelé la malédiction sur le régime almoravide. Ibn Tumart, qui aurait été alors son disciple, se serait exclamé : «Priez Dieu, Maître, qu’il périsse par ma main». Al-Ghazali aurait répondu favorablement à la requête, et la prière aurait été exaucée. L’histoire est apocryphe – Ibn Tumart n'a jamais été le disciple d'al-Ghazali – mais révélatrice de l’opposition idéologique aux Almoravides, qui prendra très vite une forme politique, celle de la rébellion suivie de la prise de pouvoir, d’abord au Maroc, puis, après la mort d’Ibn Tumart en Espagne et dans le reste du Maghreb. Le christianisme maghrébin, l’un des plus anciens au monde, ne survivra pas à près d’un siècle et demi de rigorisme almohade. L’islam populaire, par contre, saura reprendre ses droits, avec une conception de l’unicité qui, comme disait l’historien Alfred Bel, n’exclue pas une divinité « plus sentimentale, plus accessible à l’intercession, plus généreuse dans l’attribution de ses grâces et de ses bienfaits, pour tout dire, plus familière».


Article publié sur Zaman France (27 janvier 2014).

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