par Seyfeddine Ben Mansour
Du 11 au 13 septembre se tiendra à Marseille un colloque international sur le thème «Héritages arabo-islamiques en Europe méditerranéenne». Les organisateurs se proposent notamment d’explorer des pistes de recherche et des thèmes à la fois plus diversifiés et moins connus du grand public. Ainsi, si le rôle de la civilisation arabe dans la transmission de l’héritage antique est un fait, il serait néanmoins injuste de considérer que l’apport de l’Islam à l’Occident médiéval s’y réduit. Et si l’Espagne musulmane – Al Andalus – est aujourd’hui relativement connue du grand public, on sait généralement moins, voire on ignore, que d’autres régions du bassin occidental de la Méditerrannée ont été, à des degrés divers, et de manière plus ou moins durable, musulmanes : Malte, la Sicile, la Corse, mais aussi le sud de la France, avec la Narbonnaise et La Garde-Freinet, ou encore l’émirat de Bari dans le sud de la péninsule italienne.
Le commerce maritime relancé par l'Islam
Le bassin occidental de la Méditerranée, loin de se présenter sous sa configuration actuelle opposant un nord chrétien à un sud musulman, était au VIIIe siècle, et jusqu’au XIIe siècle environ, un lac musulman. «La mer Tyrrhénienne, écrit ainsi l’historien Henri Pirenne, est tout entière au pouvoir des Sarrasins. Par l’Afrique et l’Espagne, ils l’enserrent au sud et à l’ouest, en même temps que la possession des îles Baléares, de la Corse, de la Sardaigne et de la Sicile leur constitue des bases navales qui achèvent de resserrer sur elle leur maîtrise. […] Les chrétiens, dira pittoresquement Ibn Khaldoun, "ne peuvent plus y faire flotter une planche"». C’est grâce à ces musulmans que le commerce, et plus généralement les échanges, refleuriront en Méditerranée occidentale. Le déclin de la civilisation romaine, suivi de la disparition de l’Empire en Occident avait en effet conduit à une importante régression technique et à une ruralisation généralisée des cités. L’un des signes les plus notables de ce déclin est l’interruption du monnayage d’or en Espagne au VIIe siècle, et plus tôt encore en Gaule. Avec l’avènement de l’islam, des dinars d’or circuleront jusque dans les foires du nord de l’Allemagne. Pourtant, fait paradoxal, de Cordoue à Kairouan en passant par Fès, les centres de pouvoir majeurs de l’Occident musulman sont presque tous situés à l’intérieur des terres, et semblent, du moins dans les premiers siècles, bien peu se soucier de leurs périphéries maritimes. Ce n’est que dans le second quart du Xe siècle en effet que l’Etat omeyyade daignera annexer les Baléares, prolongement pourtant naturel de la péninsule. C’est le commerce, mais aussi les affrontements, et notamment la piraterie, qui seront à l’origine d’échanges intraméditerranéens à la fois profonds et continus.
Agriculture et médecine introduits en Europe
La prospérité de Marseille autour du Xe siècle est ainsi directement liée à son statut de pôle septentrional de commerce avec l’Islam, et à son réseau de marchands présents dans les ports d’Ifriqiyya (Tunisie), d’Egypte ou de Palestine. C’est notamment par ce biais que parviennent dans l’Occident latin, non seulement les produits de l’Islam d’Occident – espèces végétales nouvelles (agrumes, coton, banane, riz, melons, etc.), objets d’art, or, étoffes –, mais aussi la technologie et les sciences. Et notamment les techniques agricoles (systèmes d’irrigation sophistiqués, rationalisation de l’utilisation des engrais) et les techniques de construction (croisée d’ogive, construction en terre crue). C’est également par voie de mer que nombre de corpus scientifiques ont pu circuler, les marchands assurant alors une fonction aujourd’hui dévolue aux sociétés de transport. C’est notamment le cas de la médecine arabe, arrivée en Italie par un certain Constantin, chrétien arabisé venu de la Tunisie toute proche.
Article publié sur Zaman France (11 septembre 2013).
Mots clés : Espagne, Islam, Malte, Sicile, Corse, Narbonnaise, Freissinet, La Garde-Freinet, émirat de Bari, arabo-islamique, médecine, Constantin l'Africain, révolution agricole, Méditerranée, échanges, Islam des mondes.
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