par Seyfeddine Ben Mansour
Ce mardi 1er
avril s’est éteint à Paris le plus grand médiéviste français. Jacques
Le Goff appartenait à la lignée de ces grands historiens que furent Marc
Bloch, Lucien Febvre, Fernand Braudel et Georges Duby.
Du Moyen Âge, période qu’il a embrassée une vie de
chercheur durant, il a su montrer les lumières, dans un Occident conçu
aujourd’hui encore comme alors globalement sombre.
On pourrait en effet s’étonner qu’un adjectif
comme «moyenâgeux», par exemple, réfère à l’arriération et à
l’obscurantisme, quand, dans le même temps, la période qui précède
immédiatement, l’Antiquité est, elle, survalorisée. Sans doute
faudrait-il ici introduire un troisième terme : les musulmans. Le Moyen
Âge correspond à leur apogée.
Les infidèles «Sarrasins»
La suprématie intellectuelle, scientifique, technique, mais aussi militaire et donc territoriale était le fait des infidèles, de ces «Sarrasins» qui, de l’Espagne à la Syrie, possédaient au VIIIe siècle déjà, la majeure partie de ce qui fut l’Empire romain chrétien…
De cette humiliation, découle sans doute cette
ambivalence, cette attirance et cette répulsion qu’éprouva la chrétienté
latine du Moyen âge pour le monde islamique. Elle devrait de même tout
autant expliquer le relatif mépris pour le Moyen Âge et le rejet, aux
racines profondes, de l’Autre par excellence qu’a été longtemps le
musulman.
Continuer aujourd’hui encore d’employer le terme
«Sarrasins» (vieil appellatif d’origine grecque) pour désigner les
Arabes du Moyen âge, lorsque dans le même temps on n’hésite pas à
employer l’ethnique «Arabe» s’agissant de la période antéislamique,
relève sans doute de ce double mouvement fait de mépris et de déni.
De même la date de 732, que ne fait défaut à
aucune chronologie de l’Histoire de France, fût-elle des plus
succinctes. La fameuse bataille de Poitiers
n’a pourtant pas stoppé des Arabes qui, du reste, n’avaient pas
l’intention de coloniser cette partie de ce qui allait devenir la
France. L’éclat idéologique de cette date, et le «blanchiment»
consécutif de l’image de Charles Martel, un pilleur excommunié par le
pape Léon III, occulteront d’autres faits autrement plus probants :
l’annexion de la Septimanie (plus ou moins le Languedoc-Roussillon
actuel), devenue une province arabe au VIIIe siècle et l’existence au Xe siècle d’un micro-Etat arabo-musulman dans le golfe de Saint-Tropez.
Une présence musulmane structurée
Cette présence arabe se perpétuera au-delà du Xe siècle. Sur l'une des stèles funéraires musulmanes datant des XIe et XIIe siècles mises au jour à Aniane dans l’Hérault, et au centre de Montpellier, on peut notamment lire : «Ceci est la tombe du faqih de l’année 533 [de l’Hégire, soit 1138]». L’existence d’un spécialiste du droit musulman suppose une communauté musulmane structurée et durablement installée.
La présence arabe a d’ailleurs été suffisamment
longue pour avoir laissé une trace dans la toponymie locale, comme en
témoignent les nombreux composés en «Maure», dont notamment le fameux Massif des Maures.
«C’est à des infidèles que l’Europe chrétienne doit d’être sortie de la barbarie»
Sur le plan de la langue, les mots empruntés à l'arabe, – autour de 400, relevant essentiellement des domaines scientifique et technique – sont plus nombreux que ceux d’origine gauloise.
«Ce sont les traductions des livres arabes, surtout ceux relatifs aux sciences, qui servirent de base à peu près exclusive à l’enseignement des universités de l’Europe pendant cinq à six cent ans» rappelle l’anthropologue et
sociologue Gustave Le Bon, qui conclut ainsi : «Il semblera toujours
humiliant à certains esprits de songer que c’est à des infidèles que
l’Europe chrétienne doit d’être sortie de la barbarie, et une chose si humiliante en apparence ne sera que bien difficilement admise.»
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