par Seyfeddine Ben Mansour
Dans
un canapé acheté d’occasion, trois jeunes New Yorkais, Reese Werkhoven,
Cally Guasti et Lara Russo, trouvent la coquette somme de 40 000
dollars (30 000 euros). Ils la restituent. C’était là toutes les
économies d’une vieille femme tombée malade, et qui ainsi aura pu se
soigner. L’histoire est rapportée par le New York Post dans sa livraison
du 14 mai. Cette qualité – la remise scrupuleuse des dépôts confiés,
fût-ce par le hasard –, a un nom en islam, c’est l’amâna. Elle constitue une des vertus cardinales du musulman, un des piliers de son éthique.
Muhammad, l’«Homme sûr»
Avant l’islam déjà, rapporte Tabarî (839-923) dans
ses Chroniques, « Muhammad était connu parmi les Qurayshites [tribu
dominante de la Mecque, à laquelle il appartient, et qui sera parmi ses
plus farouches adversaires] pour sa probité, son honnêteté et sa
droiture : on l’appelait Muhammad al-Amîn [l’homme sûr]. » Ce mot, amîn, est de la même famille que îmân, qui désigne la foi, ou encore, à travers l’hébreu, de amen/âmîn,
– littéralement, «je crois» –, la formule par laquelle on clôt des
prières dans les trois religions. Ces mots sont construits sur la racine
‘MN, une des plus fréquentes du Coran. Entendue au sens le plus concret, l’amâna
désigne un dépôt confié à un dépositaire. Par exemple, des dettes
contractées en voyage entre deux personnes qui se font mutuellement
confiance, comme il est question dans le très long verset II/282, suivi,
en guise de conclusion, d’un verset court : « Si l’un d’entre vous
confie quelque chose à un autre, sans témoin [et sans consignation
écrite], que celui à qui il a été fait confiance [le dépositaire] le
restitue à celui qui le lui a confié [le propriétaire], et qu’il craigne
son Seigneur ! » (II/283).
Une vertu qui définit le musulman
La vertu en acte ici, l’amâna, est
naturellement posée par Dieu comme étant définitoire de ses fidèles, de
l’éthique islamique : «bienheureux sont ceux qui respectent les dépôts
qui leur sont confiés ainsi que leurs engagements !» (XXIII/8). De
manière particulière également, l’amâna concerne au premier chef les dirigeants (wulât al-amr),
qui doivent, à terme, restituer le dépôt confié par le peuple, qu’il
soit matériel, le Bayt al-Mâl, le Trésor public, ou immatériel, leur
mandat (IV/58). Mais, les exégètes l’ont amplement montré, cette notion
d’amâna revêt un sens beaucoup plus général, embrassant toute la sphère de la religion.
De Dieu à l'individu, les 3 niveaux de l’amâna
Le grand théologien Fakhr ad-Dîn ar-Râzî
(1150-1210) classe ainsi le respect fidèle des dépôts selon une
hiérarchie à trois niveaux. D’abord, l’observance du dépôt confié par
Dieu en suivant ses ordres et ses interdictions. Ibn ‘Umar, le fils du
deuxième calife bien-guidé, considérait ainsi que tous les sens et
membres de l’homme, – sa main, sa langue, ses yeux, etc. – sont autant
de dépôts qu’un jour il devra rendre à Dieu, et qui entretemps doivent
être employés selon Sa volonté. Ensuite, observer l’amâna
vis-à-vis des êtres et des choses : respect des dépôts confiés, des
poids et des mesures, de l’honneur et de la réputation des gens, devoir
de justice des dirigeants, de direction et de conseil de la part des
savants. Enfin, l’homme doit respecter sa propre personne que Dieu lui a
confiée en choisissant toujours le meilleur pour lui dans ce monde et
dans l’autre. Ainsi, toujours selon ar-Râzî, l’amâna
embrasse-t-elle l’ensemble des obligations qui nous lient à autrui. Elle
précède logiquement l’ordre d’appliquer la justice, qui n’est jamais
qu’une tentative de réparer un mal qui a déjà été fait, et qui ne serait
pas advenu dans une situation d’égalité où chacun veille à préserver le
droit de l’autre. Elle précède logiquement l’ordre d’appliquer la
justice, conclut ar-Râzî, parce que l’homme doit s’occuper de lui-même
avant de s’occuper d’autrui.
Mots clés : Tabarî, Muhammad, âmîn, amîn, amen, amâna, dépôt divin, Dieu, hommes, justice, Coran, ethique, morale, Islam, islamique, dépositaire, propriétaire, Fakhr ad-Dîn ar-Râzî, Islam des mondes.
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