par Seyfeddine Ben Mansour
Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, un ouvrage collectif sous la direction d’Abdelwahab Meddeb et de Benjamin Stora, vient de paraître aux éditions Albin Michel. L’ouvrage embrasse une vaste période, du VIIe au XXIe siècle. Un des épisodes notables de cette histoire est sans doute celui de la communauté sépharade de l’Empire ottoman. On entend par sépharade, au sens strict, les juifs d’Espagne, de cette Espagne musulmane d’où ils ont été chassés une fois le processus de Reconquista achevé. En 1492, Grenade tombe et Isabelle la Catholique décrète l’expulsion des juifs du royaume. L’Empire ottoman décide alors d’accorder sa protection à ces milliers de familles juives, les encourageant à s’installer sur son territoire. Contemporain des faits, Moshé Capsali, grand rabbin de la Sublime porte écrit ainsi : «Le sultan Bayezid [II], roi de Turquie, ayant appris tout le mal que le roi d’Espagne fit aux juifs qui cherchaient un lieu de refuge, eut pitié d’eux et ordonna à son pays de les accueillir avec bienveillance.» Les spécialistes parlent de 150.000 personnes, chiffre énorme pour l’époque, l’équivalent aujourd’hui de la population d’une grande ville.
«La Turquie, un pays où rien ne manque»
Durant plus de deux siècles, les vagues d’expulsion ne feront que se succéder, vidant l’Occident chrétien de sa population juive : Angleterre (1290), France (1306), principautés allemandes (à partir de 1450), Espagne, Sicile et Sardaigne (1492), Portugal (1497), Naples (1511)… Avant même le traumatisme de 1492, beaucoup de juifs avaient donc déjà choisi de s’installer dans l’Empire ottoman. Leurs coreligionnaires les y invitaient même avec ferveur. «Je vous proclame que la Turquie est un pays où rien ne manque et où, si vous le voulez, tout se passera bien pour vous» écrit ainsi vers 1430-1440 Isaac Sarfati, grand rabbin de la ville d’Edirne (Andrinople), dans une lettre adressée aux communautés juives de Souabe, de Rhénanie, de Styrie, de Moravie et de Hongrie. Le statut de dhimmi, malgré ses contraintes (impôts spécifiques, notamment), permettait en effet à ces juifs, en leur qualité de Gens du Livre, de voir leur famille et leurs biens protégés par l’Etat, de pratiquer librement leur culte, d’avoir leurs synagogues, de s’organiser en communautés, d’être régis par leur propre hiérarchie religieuse (tribunaux rabbiniques, notamment).
Le conseiller de Soliman le Magnifique
Ensuite, sur le plan économique et social, le vaste Empire ottoman recélait des possibilités immenses. Les sépharades introduiront ainsi la draperie, industrie dont ils monopoliseront bien vite tous les métiers, de la production mécanisée à la vente à l’international. Des villes portuaires comme Safed en Palestine et Salonique en Grèce deviennent florissantes. Cette dernière devient d’ailleurs au XVIe siècle la seule ville au monde à majorité juive. C’est l’âge d’or du judaïsme sépharade. A la cour, des juifs servent l’Etat en qualité de médecins, de financiers, de diplomates. C’est l’époque d’Alvaro Mendez, fait duc de Mytilène en 1596, de Salomon Ashkenazi, envoyé en ambassade auprès du Doge à Venise, et de Joseph Nassi, dont les conseils judicieux permettront la conquête de Chypre. Soliman le Magnifique et Selim II le feront seigneur de Tibériade, comte d’Andros et duc de Naxos.
Article publié sur Zaman France (09 décembre 2013).
Mots clés : juifs, sépharades, Bayezid II, Soliman le Magnifique, Selim II, Tibériade, Andros, Naxos, Safed, Salonique, Isaac Sarfati, grand rabbin, Moshé Capsali, expulsion, Isabelle la Caholique, Inquisition, grenade, Reconquista, Empire Ottoman, Sublime porte, Istanbul, Islam des mondes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire