par Seyfeddine Ben Mansour
Le 15 mai s’achèvera à Morges en Suisse la Fête de la tulipe. Cette
année, c’est pas moins de 120 000 tulipes, correspondant à 300 variétés
différentes, qui ont été plantées Parc de l’Indépendance, au bord du Lac
Léman. La Hollande, en Europe comme ailleurs, est souvent perçue comme
étant le pays de la tulipe par excellence. C’est oublier qu’elle doit ce
statut, en partie du moins, à la Turquie, pays où cette fleur est un
aujourd’hui un symbole national. Dans toutes les langues d’Europe, du
reste, le mot qui sert à désigner cette fleur vient du turc tülbent.
Lâle devri, l’Ere des tulipes
A l’origine de son introduction en Occident, deux Français. Le premier, Ogier Ghislain de Busbecq, ambassadeur de Ferdinand Ier de Habsbourg (1503-1564) auprès de la Sublime porte, apporte les premiers spécimens de tulipe en Europe. Le second, le botaniste Charles de l’Ecluse, en développe la culture en Hollande. Très vite, l’engouement est grand à travers l’Europe. Mais c’est sans doute dans l’Empire ottoman que cet engouement prendra les formes les plus extravagantes. Réimportée de Hollande, pays où avaient été obtenues quantité de variétés nouvelles, sous le règne de Ahmed III, la tulipe a suscité un enthousiasme sans bornes. Elle donnera son nom à l’une des plus brillantes époques de l’empire ottoman, – Lâle devri –, l’Ere des tulipes, correspondant à la deuxième moitié du règne d’Ahmed III (1703-1730) et plus exactement aux treize années du vizirat de Nevshehirli Ibrahim Pasha. «On attribue à [ce dernier], grand vizir et gendre d’Ahmed III, le goût pour les tulipes. Il en avait un grand parterre dans sa maison de campagne, sur la rive du Bosphore. Il fit illuminer ce parterre, ce qui impressionna le sultan qui décida d’organiser la même célébration au palais de Topkapi tous les ans, sous le nom de Lalè-Tschiraghany (Illumination des tulipes)», rapporte ainsi le comte de Salaberry dans son Histoire de l’Empire ottoman. Le sultan comme le grand vizir étaient des hommes cultivés, d’un grand raffinement, et qui, tous deux, s’adonnaient à la poésie et à la calligraphie, arts nobles par excellence en Islam.
Un engouement extraordinaire
Pendant près de treize ans, Ibrahim Pasha créa ainsi une ambiance de perpétuelles festivités autour du thème de la tulipe. Les jardins comme les fenêtres étaient couverts de tulipes, une fleur dont on dénombrait pas moins de 839 variétés en 1726. Des compétitions étaient organisées chaque année. Certains bulbes étaient si chers que l’Etat a dû intervenir en 1722, fixant les prix pour éviter une envolée spéculative. Cet extraordinaire engouement fut en outre créateur, puisqu’il est à l’origine d’un genre poétique, qu’illustre merveilleusement l’œuvre de Nedim ; d’un style architectural, incarné notamment par le Laleli Camii, la Mosquée de la Tulipe ; et d’un style artistique, le «Baroque ottoman». Sur le plan politique et social, l’Ere des tulipes est marquée par un important mouvement de modernisation. En 1724, Ibrahim Müteferrika, un converti hongrois, installe la première imprimerie. Des ingénieurs militaires français sont chargés de préparer un plan de réformes de l’armée sur le modèle occidental, tandis qu’un autre converti, Ahmed Pasha Bonneval, met en place un nouveau corps d’artillerie. Le Grand vizir met en place une politique de préservation du patrimoine : l’exportation de manuscrits est interdite et un institut est créé pour la traduction des textes arabes et persans. Outre la bibliothèque califale, institution dirigée par le poète Nedim, cinq nouvelles bibliothèques sont créées. Une nouvelle impulsion est donnée à l’industrie de la porcelaine, tandis que dans les grandes cités de l’Empire, fleurissent les œuvres du génie civil : routes, aqueducs, mosquées, fontaines, etc
Article publié sur Zaman France (12 mai 2014).
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