par Seyfeddine Ben Mansour
Jusqu’au 31 mai prochain, la Géode (parc de la Villette, Paris 19e) propose Le grand voyage d’Ibn Battuta,
de Bruce Neibaur. Projeté en mode Imax, le film retrace le périple du
plus grand voyageur d’islam et de l’un des plus grands explorateurs de
tous les temps. En 29 ans de voyages à travers le monde connu, Muhammad
Ibn Battûta (1304-1369) aura parcouru 120.000 km, soit trois fois la
distance parcourue par son prédécesseur occidental Marco Polo
(1254-1324). Comme lui, il confiera à un homme de lettres le soin de
coucher par écrit les longs récits qu’il fera de ses pérégrinations. Son
Rustichello sera Ibn Juzayy qui, sur l’ordre du souverain mérinide Abû
‘Inân, compilera la Rihla ou «Voyages et périples». Un document
rare, qui offre de riches descriptions de la vie économique et
politique, mais aussi des mœurs et de la vie matérielle au sein du vaste
ensemble afro-eurasiatique d’islam au XIVe siècle… Tout commence en
1325 quand à l’âge de 21 ans, le jeune Ibn Battûta quitte Tanger pour un
pèlerinage à Mecque : Tunis, l’Egypte, la Syrie, — qu’il parcourra
jusqu’aux confins de l’Arménie — puis enfin le Hijâz. Le pèlerinage
accompli, au lieu de s’en retourner dans son Maroc natal, il continue
vers l’Est : l’Irak et la Perse, puis à nouveau La Mecque où il restera
deux ans pour compléter ses études de théologie. Il descend ensuite vers
l’Arabie du Sud et le Yémen, puis s’embarque sur la mer Rouge en
direction de la corne de l’Afrique : la Somalie et Zanzibar, terres
musulmanes et passablement arabes. Il retourne à La Mecque en 1332 pour
sept autres années d’études, avant de repartir : l’Asie mineure, chez
les Tatares de la Russie — où le khan Özbeg le charge d’accompagner son
épouse grecque rendre visite à son père, l’empereur de Byzance —, dans
le Turkestan, le Khorassan, l’Afghanistan, et finalement en Inde où il
officiera en qualité de haut fonctionnaire durant huit ans. Le sultan de
Delhi Fîrûz Shâh Tughlûq l’enverra ainsi en Chine à la tête d’une
fastueuse ambassade. Mais la jonque est détruite par une tempête le long
des côtes indiennes. Il s’embarque pour les îles Maldives, où il
assumera deux années durant la fonction de juge (qâdhî). Il quittera l’archipel pour faire l’ascension du Pic d’Adam (Jabal ar-Ruhûn)
à Ceylan, lieu saint pour les hindous, les bouddhistes et les
musulmans. Puis ce sera le Bengale de la dynastie Ilyâs Shâhî, Sumatra,
dont le souverain est également musulman, et enfin la Chine : Quanzhou (Zaytûn),
où vit une importante communauté arabo-persane, Hong-Tcheou, Canton et
Pékin. Il reprend alors la route vers l’Ouest, vers Ormuz : à nouveau la
Perse, Bagdad, Damas, le Caire, et un quatrième pèlerinage en 1348.
Arrivé au Maroc après 24 ans, il ne tardera pas à repartir : l’Espagne
musulmane et le Mali du puissant Mansa Sulaymân. C’est à Takedda, au
cœur de l’Afrique noire, qu’un message royal l’invite à regagner la cour
d’Abû ‘Inân à Fez, où il dictera sa Rihla. L’empire abbasside a
depuis longtemps disparu, les royaumes ilkhanides qui lui ont succédé
se lézardent en Irak et en Perse, ce monde musulman qu’a parcouru Ibn
Battûta était certes morcelé en royaumes et en principautés, mais les
pèlerins, les érudits et les commerçants qu’il a rencontrés dans cette
immense Asie musulmane avaient comme lui conscience d’appartenir à une
civilisation brillante, à une communauté universelle, fondée sur des
valeurs religieuses et culturelles. Plus qu’aucun autre, Ibn Battûta
aura pu admirer les dernières lueurs de cette civilisation que l’empire
ottoman naissant n’arrachera que très partiellement aux ténèbres qui
commencent à l’entourer.
Mots clés : Ibn Battûta, Rihla, Bruce Neibaur, voyage, Asie musulmane, Islam des mondes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire