par Seyfeddine Ben Mansour
Il
y a, disséminées à travers l’Anatolie, près d’une douzaine de tombes
attribuées à Yunus Emre. A défaut d’être authentiques, elles témoignent
de l’immense popularité du poète et mystique turc. Yunus Emre vécut du
milieu du XIIIe siècle au premier quart du XIVe
siècle. Sa tombe la plus probable se trouve à Sariköy, où il serait
également né, un village non loin de Sivrihisar (Eskisehir). L’homme a
voyagé pourtant, parcourant dans son immensité, l’Anatolie, mais
visitant également, suppose-t-on, la capitale de la Syrie, Damas et
Tabriz, une ville au nord-ouest de l’Iran.
Aujourd’hui encore, sa popularité est grande, de
l’Azerbaïdjan aux Balkans. Son grand savoir et son extrême simplicité
sont caractéristiques d’une éducation reçue au sein d’un tekke
(lieu où les soufis se réunissent autour d’un maître et effectuent leur
actes de dévotions). Si on ne connaît pas avec exactitude la confrérie
mystique (tarîqa) à laquelle il appartenait, la Bektashiyye ou la Mevleviyye semblent néanmoins les plus probables.
La première parce que son maître spirituel était
Tadpuk Emre. La seconde pour les références répétées, au sein de son
œuvre, à Mevlana Jalal ad-Din Rumi, autre grand mystique et poète. Ses
vers montrent que Yunus Emre était un musulman d’une grande piété,
nourri des enseignements du Coran et de la Sira (récits de la vie du
Prophète), mais aussi de ceux du mysticisme islamique dans la tradition
d’un Ibn al-‘Arabi. Sa philosophie religieuse tendait tout entière vers
l’ «unité de l’existence», une théorie soufie selon laquelle tout ce qui
existe est en Dieu, autrement dit, toute la multiplicité observable est
en réalité illusoire, passagère, puisque tout procède de Dieu (l’Unité
divine) et revient finalement à Lui.
Le poète est un homme parmi les hommes
Yunus Emre aura eu le mérite d’exprimer ces conceptions dans une langue imagée, subtile, tout en étant, de par sa simplicité, accessible au plus grand nombre. Ses deux œuvres que sont le Dîwân (Recueil) et la Risâlet el-nushiyye (Le petit livre des conseils) ont été rédigées, non pas dans ces grandes langues de culture qu’étaient l’arabe et le persan, mais dans ce qui, à son époque, était la langue du petit peuple, le turc d’Anatolie, langue essentiellement orale à laquelle il donnera ses lettres de noblesse. Yunus Emre aura notamment contribué à adapter à la langue turque le ‘arûdh, système métrique issu de la poésie arabe et modèle prestigieux s’il en est.
Sur le plan du contenu, on trouve dans son œuvre maîtresse, le Dîwân,
des citations du Coran et des maximes soufies aux côtés de références à
des contes et légendes d’origine grecque ou indo-persane issus de la
culture populaire. Toutes ces citations visent néanmoins une même
finalité et le thème récurrent de sa poésie est l’amour mystique. Un
lyrisme mystique qui ne signifie pas que le poète vit en reclus pour
autant. C’est un homme parmi les hommes, et qui compose avec ce que la
vie peut avoir de plus quotidien, pour mieux s’élever vers Dieu, et
appeler ses frères à le suivre sur le chemin de l’Unicité.
La sincérité avec laquelle il exprime ses
sentiments, mais aussi la profondeur et la beauté humble de ses vers
expliquent le succès que rencontre aujourd’hui encore sa poésie : «Je
n’ai pas l’intention de rester ici, je plierai bagage sans tarder / Je
suis commerçant et j’ai des biens, je les vendrai à qui le voudra / Je
ne suis pas venu susciter des conflits, ce qui m’intéresse c’est l’amour
/ |…] Refusant toute dualité, me voilà qui viens atteindre l’Unité.»
Mots clés : Yunus Emre, unité de l'existence, mysticime, soufisme, unité, Dieu, Coran, Sira, Sivrihisar, Eskisehir, Bektashiyye, Mevleviyye, Tadpuk Emre, Mevlana Jalal ad-Din Rumi, Ibn al-‘Arabi, Islam des mondes.
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