vendredi 11 juillet 2014

Scouts musulmans : «servir Dieu et la patrie»

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 28 mai dernier, la Fête du jeu a été organisée à Nantes, dans le cadre du Grand projet de ville. Elle était organisée entre autres par l’Action catholique enfant, les Scouts et guides de France et les Scouts musulmans de France via leur unité marine nantaise. Cette organisation musulmane de France est récente ; elle a été fondée en 1990. Jusqu’alors, les scouts français de confession musulmane appartenaient le plus souvent à des mouvements catholiques, à l’instar des Scouts et guides de France, au sein duquel beaucoup ont pu être accompagnés dans l’effort de développement de leur vie spirituelle. La répartition en quatre tranches d’âge est d’ailleurs inspirée du mouvement catholique, avec les Voyageurs et les Voyageuses (8-11 ans), les Éclaireurs et les Éclaireuses (11-14 ans) et les Pionniers et les Pionnières (14-17 ans), et enfin les Compagnons et les Compagnonnes (17-21 ans). Le programme pour les trois premières tranches d’âge est articulé autour d’une symbolique à sept axes conçue sur le modèle des 7 prophètes-jalons de l’histoire de l’Humanité : Adam, Noé, Abraham, Moïse, Salomon, Jésus, Muhammad, la branche des Compagnons marquant l’accomplissement du parcours scout musulman de France. Si le scoutisme musulman de France est récent, le mouvement scout en islam, al-haraka al-kashafiyya, est ancien. Il naît en Syrie en 1912, soit à peine cinq ans après la création en 1907 par le général Lord Robert Baden-Powell, à Brownsea, en Angleterre, de ce mouvement de jeunesse appelé «scoutisme» (de l’ancien français escoute, «éclaireur») et qui repose sur l’apprentissage de valeurs fortes puisées dans l’éthique religieuse : la solidarité, l’entraide et le respect, notamment. Les jeunes scouts font ainsi le serment de «servir Dieu et la patrie». 
 
Concrétiser l’idéal arabe d’unité
 
Cette éthique sera déclinée différemment selon les pays et les époques. Elle est fonction de l’Histoire, qu’elle traduit, mais qu’elle contribue également, fût-ce modestement, à façonner : le scoutisme refusera ainsi, dans l’entre-deux-guerres, de reconnaître les mouvements de jeunesse fascistes italiens et soutiendra le scoutisme espagnol clandestin. Dans le monde musulman, le scoutisme naît dans le cadre du Réformisme (al-Islâh) qui naît à la fin du XIXe siècle et se prolonge jusqu’au premier tiers du XXe siècle. Il s’agit de sortir le monde musulman de la torpeur qui a conduit à sa décadence. L’évolution était conçue comme nécessitant des réformes tous azimuts, dont notamment celles du système judiciaire et de l’éducation, mais aussi la diffusion des méthodes modernes d’animation, au nombre desquelles les clubs artistiques et sportifs et le scoutisme. Pour les mouvements scouts arabes qui se réunissent à Bloudan en Syrie en 1938, il s’agit en outre de concrétiser le nouvel idéal arabe d’unité, élargissant le concept scout de patrie par le biais de la transposition du concept islamique de Umma («Communauté [de croyants]») : al-Umma al-‘arabiyya, «la Nation arabe». Un demi-siècle plus tard, le scoutisme musulman de France naît d’autres besoins, et d’autres exigences : il procède d’un effort de socialisation dirigé vers la jeunesse (ici aussi, au même titre que certaines activités sportives ou éducatives). Il assume au sein de populations souvent marginalisées une fonction de stabilisation, de cohésion sociale, et, au niveau individuel, une fonction de préservation. L’enracinement dans sa tradition spirituelle et les activités menées dans le cadre du groupe et dans le but de servir la France permettent de dépasser les clivages, et, pour beaucoup, d’éviter la déviance (échec scolaire et délinquance) et de se réconcilier avec soi-même.

Article publié sur Zaman France (07 juin 2012).

Mots clés : scoutisme, fete du jeu, scouts musulmans, clivages sociaux, nationalisme arabe, Islam des mondes.

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