mardi 8 juillet 2014

Du Sénégal à l’Espagne, le fabuleux destin des Almoravides

par Seyfeddine Ben Mansour

Du 7 au 9 mars derniers, sous l’égide de l’ONU, des «pour parlers informels» sur l’avenir du Sahara occidental ont réuni à Malte des représentants du Maroc et du Front Polisario. Plus de trois décennies après le départ des Espagnols en 1976, l’ancienne colonie n’a toujours pas de statut juridique définitif. Selon la classification de l'ONU, il s’agit d’un «territoire non autonome». Malgré des avancées formelles, la situation est en effet toujours bloquée : le royaume chérifien, qui considère ce territoire comme marocain, n’a fait que réitérer sa proposition d’un plan d’autonomie ; de son côté le Front Polisario, qui a proclamé le 27 février 1976 la «République arabe sahraouie démocratique», continue de réclamer l’indépendance, appelant à l’instauration d’un référendum d’autodétermination. Quels que soient les arguments des uns et des autres, l’Histoire lie les Sahraouis au Maroc plutôt qu’elle ne les sépare. Et cette histoire est à l’avantage de ce peuple nomade qui régna ainsi du Sénégal à l’Espagne, pour la plus grande gloire du Maroc.

L'islam, lien entre le Nord et le Sud du Sahara

Le Sahara a longtemps été une barrière, climatique et culturelle, entre le Nil, l’Afrique du Nord et le Sahel. Chaque ensemble devait ainsi développer des caractères spécifiques. C’est l’islam, et plus encore le commerce qu’il induira, qui contribueront à rapprocher les différentes aires culturelles. La pénétration arabe le long des pistes sahariennes est très précoce : la première tentative du Maroc vers le fleuve Sénégal date de 734-735. Ces pistes allaient vite devenir des axes de pénétration humaine, commerciale, intellectuelle et religieuse. C’est dans cette région que nomadisaient les Lemta, tribu berbère Sinhâja, apparentée aux Touaregs, et ancêtre des Sahraouis (aujourd’hui arabophones). Les Lemta, islamisés depuis deux siècles, ne l’étaient qu’assez superficiellement. Aussi, vers 1035, à l’invitation de leur chef, Abû Bakr Ibn ‘Umar, arriva parmi eux le prédicateur malékite ‘Abd Allâh Ibn Yâsîn. Avec une poignée de fidèles, il fondera un ribât (sorte de couvent militaire), à l’origine d’une communauté religieuse qui, l’épée à la main, allait essaimer vers le nord (versant maroco-hispanique), comme vers l’est (versant berbéro-soudanais).

A la conquête de l'Espagne depuis le lointain Sénégal

Les Almoravides (al-Murâbitûn, «ceux du Ribât») allaient en effet, dans la première moitié du XIe siècle, se lancer dans une immense conquête politico-religieuse. Elle sauvera le Maroc, qui était alors livré à l’anarchie, et qui semblait condamné au morcellement. Après avoir tout d’abord soumis les pays situés sur l’axe commercial lié à l'or du Ghana (sud du Haut-Atlas), les bandes sahariennes déferlent sur le centre, l’est et le nord du Maroc : tour à tour, Fès, Tanger, le Rif, Oran, Ténès tombent entre leurs mains.

Plutôt «être chamelier au Maghreb que porcher en Castille»

En 1062, Yûsuf Ibn Tashfîn, qui a succédé à Abû Bakr Ibn ‘Umar et ‘Abd Allâh Ibn Yâsîn, fonde Marrakech, qui sera désormais la capitale de l’empire. En moins de vingt ans, Ibn Tashfîn devient seul maître du Maghrib extrême et du Maghrib central jusqu’à Alger, tandis qu’au sud, le royaume s’étend jusqu’au fleuve Sénégal. A ces territoires déjà si vastes, allait s’ajouter bientôt la moitié de l’Espagne. En effet, menacés par la reconquête chrétienne et d’autant plus faibles qu’ils étaient divisés en petits États (les royaumes de Taïfas), les princes musulmans de la péninsule ont dû se résoudre à faire appel aux «barbares du désert». Non sans répugnance, le raffiné al-Mu’tamid, roi de Séville, sollicite en 1084 l’aide des Almoravides : à tout prendre, il préférait en effet «être chamelier au Maghreb que porcher en Castille»… Yûsuf Ibn Tashfîn arrêtera l’invasion chrétienne à Zallâqa (Sagrajas) en 1086, puis dépossédera à son profit l’ensemble des petits souverains musulmans. Ainsi, depuis le Sahara occidental, et par delà le détroit de Gibraltar, le Maroc allait-il se prolonger jusqu’à l’Ebre, en pays catalan, et jusqu’aux Baléares…

Article publié sur Zaman France (25 mars 2011).

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