par Seyfeddine Ben Mansour
Le
14 janvier dernier, le régime dictatorial de Ben Ali chutait. Trois
jours plus tard, depuis Londres où il vit en exil depuis 22 ans,
l’opposant Rached Ghannouchi annonçait son retour prochain en Tunisie.
Le chef historique du parti islamiste Ennahdha a assuré être prêt à
«travailler avec les mouvements politiques et la société civile pour
bâtir un État de droit».
Islam et démocratie sont volontiers présentés comme antinomiques. Le 11 Septembre et la thèse du «choc des civilisations» ont beaucoup contribué à conforter l’idée d’une opposition paradigmatique entre islam et dictature d’une part, et Occident et démocratie de l’autre.
Islam et démocratie sont volontiers présentés comme antinomiques. Le 11 Septembre et la thèse du «choc des civilisations» ont beaucoup contribué à conforter l’idée d’une opposition paradigmatique entre islam et dictature d’une part, et Occident et démocratie de l’autre.
Le terme «islam» recouvre deux réalités qui sont
plus ou moins consciemment confondues : d’une part, une religion, de
l’autre, un ensemble d’entités socio-politiques, qui sont le fruit de
l’Histoire. Mais que l’on envisage l’islam en tant que textes ou en tant
que sociétés ayant un référent sacré commun, l’examen des faits échoue à
justifier la thèse d’une relation intrinsèque entre islam et absence de
démocratie.
Près d'un musulman sur trois vit en démocratie
Les musulmans vivent dans plus de 160 pays, et
constituent aujourd’hui près d’un milliard et demi d’individus, soit un
être humain sur cinq. Près d’un tiers, soit un demi-milliard de
musulmans, vit dans des démocraties.
Un second tiers vit dans des pays en voie
d’accession à la démocratie. L’Indonésie, pays musulman le plus peuplé
(241 millions) est une démocratie, de même que l’Inde (160 millions), la
Malaisie (11 millions) ou la Turquie (77 millions).
Moyen Orient excepté, l’islam asiatique est
démocratique. Des femmes y ont accédé à des fonctions ministérielles
souvent avant leurs homologues européennes. Megawati Sukarnoputri a été
ainsi présidente de la république indonésienne en 2001.
Si l’islam africain est en transition
démocratique, certains pays, comme le Sénégal et le Mali, sont des
démocraties reconnues. Il n’en va pas de même des pays arabes, à
l’exception sans doute du Liban et de la Palestine. L’Iran a su aussi
créer un modèle original de démocratie, quoiqu'encore largement
imparfait, les libertés individuelles y étant souvent violées.
L'islam, instrument de revendication démocratique
La Tunisie fait aujourd’hui la une de l’actualité.
Quoiqu'encore fragile, la révolution tunisienne pourrait préfigurer un
vaste mouvement de démocratisation dans l’ensemble de la région. A
terme, la démocratie deviendrait majoritaire au sein des pays musulmans.
Non seulement l’islam n’est pas un obstacle à la démocratie, mais
encore même son utilisation à des fins de revendication politique peut
être d’essence démocratique.
Comme le montre l’Algérie des années 1990, l’islam
a servi d’ossature à un projet politique qui visait à arracher le
pouvoir des mains d’une oligarchie militaire qui a accaparé la rente
pétrolière et dévoyé la révolution. Pour les 47 % d’Algériens qui en
1991 ont voté FIS, il s’agissait moins d’imposer la sharî'a que de
rendre l’État aux citoyens et de restaurer le principe du bien commun.
La différence avec les révolutions laïques réside essentiellement dans
la reconnaissance de la souveraineté divine, selon le principe Vox populi, vox Dei.
Ni l’islam, ni aucune religion, n’est
idéologiquement contre le contrôle des gouvernants par les gouvernés,
ou, plus généralement, le principe de la participation aux affaires de
la cité.
Un concept coranique d'essence démocratique dévoyé
L’Histoire montre que ce sont les dirigeants qui,
quelle que soit leur religion, refusent cette participation, défendant
jalousement leur statut, en instrumentalisant au besoin les textes
religieux. Ainsi le concept islamique de shûrà
(«concertation», «conseil»), cité à deux reprises dans le Coran (III,
159 et XLII, 38), pose-t-il le principe de la participation collective
aux affaires de la cité.
Pourtant, ce modèle politique n’aurait duré tout
au plus qu’une quarantaine d’années après la mort du Prophète. Très
vite, l’orgueil et l’iniquité, que le Coran dénonçait à travers la
figure de Pharaon, aura raison de la shûrà : elle deviendra,
selon le politologue libanais Ahmad Moussalli, «une doctrine élaborée
par les élites politiques et religieuses, destinée à préserver leurs
intérêts économiques, sociaux et politiques, au détriment des autres
catégories sociales.»
Article publié sur Zaman France (28 janvier 2011).
Mots clés : Tunisie, Malaisie, Liban, Turquie, Prophète, Ahmad Moussalli, Megawati Sukarnoputri, Démocratie, choura, Inde, Coran, Islam, Islam des mondes.

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