par Seyfeddine Ben Mansour
Le 8 mars, fête internationale des Femmes, est traditionnellement l’occasion d’aborder la question du droit des femmes, et, singulièrement, celle des formes, réelles et symboliques, du pouvoir masculin. Parmi elles, notamment, la féminisation – ou l’absence de féminisation – des noms de métier (ingénieure) et des titres (maître et non maîtresse pour une avocate). Il est significatif à cet égard qu’au XIIIe siècle, en Inde musulmane, Radhiyya, souveraine turque de Delhi, ait exigé de se faire appeler sultân et non sultâna. Impérative, elle daignait néanmoins en donner la raison : sultâna est une forme féminine réservée aux épouses des souverains, un titre purement honorifique attribué à des individus sans pouvoir.
Radhiyya, femme d'Etat
Avant même d’accéder au trône en 1236, Radhiyya était assez peu coutumière du harem, de ce gynécée où évoluaient les femmes de la cour. Très tôt en effet, elle s’est intéressée aux affaires de l’Etat, suivant son père Shams ad-Din Iltutmush dans ses déplacements à travers les provinces de l’Empire. Le sultan a du reste très tôt décelé chez cette petite-fille du grand Qutb ad-Din Aybak, fondateur turc du sultanat de Delhi, les qualités d’une véritable femme d’Etat. Il veillera ainsi à la désigner, de son vivant, unique héritière du trône, au grand dam de ses deux demi-frères, Rukn ad-Din Fayruz Shah et Mu‘izz ad-Din Bahram Shah. La chose ne sera pas sans provoquer l’ire de la caste militaire, des ulémas, de Shah Turkaan (la mère du premier enfant mâle), comme d’une partie des sujets du royaume. Aussi, à la mort du roi, ses dernières volontés ne seront pas respectées, et l’aristocratie militaire portera au pouvoir Rukn ad-Din, prince débauché à travers lequel, dans l’ombre du harem, Shah Turkaan, première veuve, put exercer son pouvoir. La vie dissolue de son fils provoquera une insurrection générale qui leur coûtera la vie à tous deux.
Radhiyya, «chef de guerre»
A contrecoeur, les généraux turcs, l’élite militaire, durent prêter allégeance à Radhiyya. Aussi, une des premières tâches auxquelles elle s’attellera sera précisément d’affaiblir leur pouvoir en jouant de leurs rivalités. Elle n’hésitera pas ainsi à favoriser la promotion d’un chef militaire qui n’était ni Turc, ni même de condition libre : Malik Jamal ad-Din Yaqut, esclave éthiopien qu’elle élève à la dignité de Grand écuyer (Amîr-i akhûr). Elle fera frapper monnaie à son nom : «Pilier des Femmes, Reine des Temps, Impératrice Radhiyya fille de Shams ad-Din Iltutmush» lit-on sur la légende. Après quelques mois de règne à peine, sur la nouvelle monnaie qu’elle fait battre, le nom de son père a disparu : son pouvoir s’est affirmé. Jusqu’aux provinces les plus reculées du sultanat, elle est crainte et respectée. Celle qui se fait appeler «Sultân» s’habille en homme, monte à cheval en cheveux, et dirige ses troupes à la tête d’un éléphant de guerre. De tous les sultans chamsides, elle est ainsi la seule que l’historien al-Juzjani qualifie de «chef de guerre». Néanmoins, aucune autorité n’étant définitivement assurée, elle devra affronter une coalition de gouverneurs sécessionnistes, un mouvement de rébellion auquel se joint Ikhtiyar ad-Din Altuniya, un ami d’enfance en charge de la province de Bhatinda. Alors que Radhiyya, à la tête de son armée, s’emploie à soumettre les ligueurs, les généraux profitent de son absence pour placer Bahram Shah sur le trône de Delhi en avril 1240. Dans une extraordinaire volte-face, Ikhtiyar al-Din Altuniya prend fait et cause pour sa reine, l’épouse et prend les armes à ses côtés pour l’aider à reconquérir le trône. Mais au mois de décembre, alors qu’ils tentaient de marcher sur Delhi, ils sont tous deux faits prisonniers près de Kaithal, et finalement exécutés.
Article publié sur Zaman France (07 mars 2014).
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