mardi 8 juillet 2014

Esclavage en islam, une «nécessité provisoire»

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 13 janvier dernier s’est tenu dans la cité phocéenne une conférence-débat intitulée «Marseille et la traite négrière». Animée par Gilbert Buti, auteur notamment de «Marseille, port négrier au XVIIIe siècle ?», la conférence était assortie d’une projection de photographies dues à Philippe Monges.
Car dans ce siècle paradoxal que fut le XVIIIe, si Paris proclamait la Déclaration universelle des Droits de l’homme, Marseille, elle, restait fidèle à une tradition esclavagiste qui remonte à l’Antiquité, et qui, des siècles durant, se sera perpétuée sur les deux rives de la Méditerranée.
Apparu au VIIe, l’islam s’étendra rapidement des rives de l’Atlantique à la vallée de l’Indus, unifiant sous sa bannière des sociétés dont l’économie reposait sur la main d’œuvre servile.
Cette pratique préislamique qu’est l’esclavage ne sera pas abolie, mais seulement tolérée par l’islam. Des exégètes comme Ameer Ali au XIXe y verront une «nécessité provisoire» : plutôt qu’une soudaine et entière émancipation, impossible en pratique car elle remettrait en cause tout le système économique, l’islam aurait appelé les hommes à plus d’humanité.
Ils devaient ainsi, progressivement, atteindre un stade civilisationnel supérieur. Pas plus que le judaïsme ou le christianisme, l’islam n’a, doctrinalement, supprimé l’esclavage.

L’affranchissement d’un esclave, un acte méritoire

Néanmoins, il a été à l’origine d’une impressionnante jurisprudence qui fixe de manière très précise les droits et les devoirs de tous, maîtres ou esclaves. Spirituellement, l’esclave a la même valeur que l’homme libre. Ce n’est qu’ici-bas que son statut social est inférieur.
Le Coran pose par deux fois l’affranchissement d’un esclave comme un acte méritoire. Dès les premiers temps de la Prédication, Abû Bakr, premier compagnon du Prophète, a consacré une partie importante de sa fortune au rachat des esclaves. Le premier a été Bilâl, un Abyssin qui fut le premier muezzin de l’islam.
La dignité de la personne humaine de l’esclave s’observe notamment dans les lois liées aux relations sociales d’ordre sexuel : interdiction de la prostitution ; droit au mariage, y compris avec une personne de condition libre ; droit à un douaire ; devoir du maître de marier ses esclaves ; droit, à terme, à l’affranchissement pour l’épouse servile qui a donné un enfant à son maître (umm walad) ; aumônes légales (zakât) partiellement dédiées à l’affranchissement ; etc.
Par ailleurs, pour le droit musulman, seules deux sources peuvent légitimement alimenter l’esclavage : la naissance dans la servitude, et la capture à la guerre (ce dernier cas ne pouvant en outre s’appliquer aux musulmans). Ainsi, l’esclavage qui sera pratiqué par les sociétés musulmanes jusqu’au siècle dernier (1980, pour la Mauritanie) a-t-il été, pour une large part, illicite (harâm).
Les sources d’approvisionnement en esclaves ont été, pour l’essentiel, l’Europe, l’Asie centrale et l’Afrique noire : des Slaves (du VIIe au XIe siècles, essentiellement), des Goths, des Ibères et des Francs (conquête de l’Espagne), des Français, des Italiens, des Espagnols, et même des Islandais (époque de la course, du Moyen âge au XVIIIe siècle), des Circassiens (du VIIIe au XIXe siècles), des Africains (de l’Est dès avant l’islam ; de l’Ouest, après le VIIIe siècle).

Des esclaves fondateurs de royaumes

Les esclaves serviront dans pratiquement tous les corps de métiers, et certains se sont élevés très haut dans la hiérarchie politique ou militaire, ainsi Kafûr al-Ikhshîdî (905-968), gouverneur de l’Egypte. Des esclaves musulmans fonderont même des royaumes : les Saqâliba (Slaves) à Valence (XIe ) et les Mamelouks au Caire (XIIIe-XVe s.), notamment.
C’est au XIXe qu’en terre d’islam, comme ailleurs en Europe, seront promulguées les premières lois abolitionnistes. La Tunisie a été pionnière en la matière, décrétant l’abolition en 1846, soit deux ans avant la France, patrie des Droits de l’homme. C’est cette même Tunisie qui aujourd’hui s’est affranchie du joug de la dictature, du joug de la servitude, et qui pourrait, là encore, être suivie par bien des pays frères.
 
Article publié sur Zaman France (21 janvier 2011).

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