par Seyfeddine Ben Mansour
Ce
22 mars sera célébrée comme chaque année la fête de Nowruz. De
l’Albanie au Turkestan chinois, c’est l’ensemble du monde turco-persan —
qui englobe en outre le Kosovo, la Turquie, l’Irak (Kurdistan),
l’Azerbaïdjan, l’Iran, l’Afghanistan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le
Tadjikistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan —, soit une aire d’islam
immense, qui célébrera une fête d’origine païenne. Nowruz (Nevruz en turc, Newroz
en kurde) marque l’équinoxe vernal, c’est-à-dire le premier jour du
printemps, celui qui inaugure le renouveau de la nature, et, partant,
dans beaucoup de cultures dont le calendrier est solaire, le premier
jour de l’année. C’est du reste le sens à la fois étymologique et
symbolique de nowruz, littéralement «nouveau jour» en persan.
Le mot, comme la réalité qu’il désigne, est lié au zoroastrisme, une
religion monothéiste non abrahamique, fondée au cours du Ier millénaire
avant J.‑C. dans l’actuel Kurdistan iranien. Devenue religion officielle
des Iraniens sous la dynastie sassanide (224-651), le zoroastrisme
cédera la place à l’islam à partir du VIIe siècle. Néanmoins, nombre de
ses aspects réussiront à se fondre dans le patrimoine culturel iranien,
le plus saillant étant la célébration de Nowruz qui, dans l’actuelle
République islamique d’Iran, donne lieu à 13 jours de vacances
scolaires. La persistance de ce substrat païen dans une des cultures
majeures d’islam, d’une part, et le rayonnement considérable de la
culture perse des siècles durant, d’autre part, expliquent en grande
partie la diffusion et le caractère vivace de cette fête zoroastrienne
en terre d’islam. Il s’agit donc, hors des frontières de la Perse
historique, d’un fait d’acculturation qui, paradoxalement, est
consécutif à l’islamisation. L’autre facteur à prendre en ligne de
compte, plus prosaïque, mais non moins réel, est l’inadaptation du
calendrier hégirien aux besoins de la vie pratique, longtemps soumise au
cycle des saisons. Lunaire, le calendrier musulman n’épouse pas leur
rythme, qui est déterminé par la position du soleil par rapport à la
terre. A l’autre extrémité de l’aire arabo-musulmane, les paysans
maghrébins ont d’ailleurs longtemps conservé le calendrier julien,
hérité de leur latinité passée, et dont les mois s’égrenaient dans un
latin arabisé (yannâr, furâr, mârs, abrîl, etc.).
Une fête populaire en Iran
Néanmoins, le nouveau pouvoir islamique n’aura pas eu, au Maghreb, à
devoir composer avec une fête païenne ancrée dans les traditions, et
célébrée en grandes pompes par la population indigène, et ce, au cœur
même de l’Empire. L’historien arabe al-Ya‘qûbî (m. 897) rapporte que
c’est un jour de Nowruz que Ctésiphon, la capitale de la dynastie perse
des Sassanides (actuellement en Irak), est prise par les armées
musulmanes sous la conduite de Sa‘d Ibn Abî Waqqâs. Sous le règne des
quatre premiers califes, les gouverneurs qui se succéderont dans la
région autoriseront les festivités liées à Nowruz, tout en prélevant des
taxes spécifiques. Sous les Omeyyades, puis sous les Abbassides, ces
taxations seront maintenues, néanmoins la fête de Nowruz comme celle,
zoroastrienne également, de Mehrajân, seront célébrées avec toute la
pompe officielle, d’après le témoignage de l’historien al-Mas‘ûdî (m.
956). Après la chute du califat et la réémergence de dynasties perses —
Samanides et Bouyides, notamment —, Nowrûz sera élevée à un niveau plus
important encore. D’anciennes traditions, qui avaient été abolies par le
califat, seront même restaurées par la dynastie bouyide. Elles seront
conservées par les conquérants ottomans et mongols.
Article publié sur Zaman France (16 mars 2012).
Mots clés : Turquie, Païen, Nowruz, Fête, Islam, Mahgreb, Islam des mondes.
Mots clés : Turquie, Païen, Nowruz, Fête, Islam, Mahgreb, Islam des mondes.
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