jeudi 10 juillet 2014

L’Evangile selon Barnabé : un Evangile « judéo-musulman » ?

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 23 février dernier, le ministre turc de la Culture et du Tourisme, Ertugrul Günay, a confirmé les informations parues dans la presse selon lesquelles une bible vieille de 1.500 ans a été découverte dans le sud de la Turquie en 2010. Le quotidien Star avait notamment émis l’hypothèse que cette bible pourrait contenir « une copie du très controversé Evangile selon Barnabé, que les musulmans tiennent pour authentique et qui aurait été supprimé » au profit de ceux de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Il présente en effet Jésus selon des vues très proches de celles du Coran. Rejeté comme apocryphe par l’ensemble des autorités ecclésiastiques, il est également tenu pour faux par les spécialistes occidentaux des textes chrétiens. Seules deux copies sont aujourd’hui connues, qui remontent toutes deux à la fin du XVIe siècle. Le premier manuscrit a été rédigé en italien et annoté dans un arabe comprenant de nombreux turcismes. Le second, rédigé en espagnol, subsiste à l’état de fragments. Il est dû à Ibrahîm al-Taybîlî, alias Juan Perez, un Morisque émigré en Tunisie. Il pourrait s’agir de traductions d’une version arabe dont la source est à ce jour inconnue. L’islamologue et prêtre catholique Asin Palacios a en effet montré que l’Evangile selon Barnabé était connu des milieux savants hispano-arabes du XIVe siècle. Il cite notamment le cas de Abû al-Barakât al-Nasafî (m. 1310) et de Abû al-Hassan al-Khâzin (m. 1340) qui y font référence dans leurs ouvrages d’exégèse. Avant le XIVe siècle, l’Evangile selon Barnabé n’est guère connu que sous la forme de mentions, c’est-à-dire sans aucune indication relative à son contenu. Le Décret de Gélase, une compilation du VIe siècle qui fixe le dogme et désigne les textes canoniques, le cite parmi d’autres ouvrages classés comme faux. Il figurera un siècle plus tard dans la Liste des 60 livres, également classé parmi les apocryphes.

Des contradictions avec le Coran

L’Evangile selon Barnabé s’oppose aux Evangiles canoniques en ce qu’il est, schématiquement, à la fois plus proche du judaïsme et plus proche de l’islam. Ces deux aspects sont d’ailleurs parfois confondus. Il en va ainsi de l’insistance sur les préceptes de la Loi concernant les aliments impurs (notamment le porc ; ch. 32), le rejet des idoles (ch. 32), et le caractère purificateur de la circoncision (ch. 22). Ces éléments sont assez caractéristiques des doctrines dites « judéo-chrétiennes » du christianisme primitif. Le Prologue du texte dénonce d’ailleurs l’interprétation paulinienne de l’Evangile, celle qui finira par prévaloir, et qui aura imposé le caractère divin de Jésus, le dogme de la Trinité et l’abandon des observances rituelles juives. Ainsi, Jésus n’est-il pas le fils de Dieu mais l’un de ses prophètes (ch. 44). C’est par ailleurs un autre que lui qui, sous ses traits, aura été crucifié, illusion de crucifixion à la fois conforme au docétisme, — une doctrine du début du christianisme —, et à la version du Coran (IV:157). L’Evangile selon Barnabé précise l’identité de celui qui a été substitué au Christ : il s’agit de Judas l’Iscariote (ch. 217). Enfin, Muhammad est cité nommément et sa venue annoncée ; au chapitre 39, la shahâda (profession de foi) est reproduite textuellement. Néanmoins, il existe un faisceau d’arguments en faveur du caractère apocryphe de ce manuscrit du XVIe siècle, qui, par ailleurs, est sur de nombreux points en contradiction avec le Coran. Il y est ainsi affirmé, notamment, que Marie a enfanté sans douleur, dans une étable (ch. 3), que les cieux sont au nombre de neuf (ch. 178), et que Muhammad est le Messie (ch. 96), et non Jésus, pourtant ‘Îsâ al-Masîh…
 
Article publié sur Zaman France (09 mars 2012).

Mots clés : Luc, Jean, Matthieu, Dieu, Juan Perez, al-Hassan al-Kh, Marc, Tunisie, Turquie, Alberta, le sud de la Turquie, Islam des mondes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire