par Seyfeddine Ben Mansour
La
France n’a pas à se repentir «d’avoir été une puissance coloniale» a
déclaré le 9 mars dernier Nicolas Sarkozy. L’ancien ministre de Jacques
Chirac avait, on s’en souvient, défendu en son temps la loi du 23
février 2005, qui reconnaît les «bienfaits de la colonisation». Devenu
candidat à sa propre succession, il a célébré le 9 février dernier le
«magnifique héritage de civilisation» du christianisme, avant de se
lancer plus récemment, au nom de la laïcité, dans une nouvelle polémique
islamophobe liée à l’abattage halal. Toutes ces contradictions ne sont
évidemment pas sans lien avec l’Histoire, avec cette Histoire coloniale
que la droite et l’extrême-droite peinent tant à assumer. La
colonisation n’était pas seulement spoliation matérielle des indigènes,
mais aussi entreprise de dépersonnalisation, de négation de l’identité
de l’autre. L’évangélisation était en effet le pendant «spirituel» de la
conquête militaire, et, comme le rappelle l’historien Alain Mahé, le
cardinal Lavigerie «était alors au clergé ce que le maréchal Bugeaud
était à l’armée d’Afrique». Archevêque d’Alger de 1867 à 1892, Charles
Martial Lavigerie voyait dans l’Algérie «une porte ouverte par la
Providence sur un continent barbare de deux cents millions d’âmes [où]
il fallait porter l’œuvre de l’apostolat catholique». Ses efforts se
sont concentrés sur la Kabylie, où il fit installer des missionnaires en
1873, dans le cadre d’un vaste projet d’évangélisation lié à une
politique d’assimilation propre aux seuls Kabyles. Ce choix était motivé
par une conception fortement idéologisée de l’Histoire. Les
missionnaires étaient en effet convaincus d’être dans un espace où
l’islamisation n’était que superficielle. Il serait ainsi plus aisé de
faire resurgir le christianisme antique, substrat religieux «oublié» des
populations locales. D’autant que, comme le soulignent le colonel
Daumas et le capitaine Fabar en 1847, la «race kabyle» est distincte de
la «race arabe». Les individus blonds aux yeux bleus n’étant pas rares,
«le peuple Kabyle» était forcément «germain d’origine» (c’est-à-dire
germanique), ce pourquoi «il a accepté le Koran, [mais] ne l’a point
embrassé»… Ainsi, une fois l’œuvre missionnaire accomplie, l’islam ne
serait plus qu’une parenthèse malheureuse, un accident de l’Histoire.
Un échec reconnu par les ecclésiastiques
Héritière de Rome, la France aura ainsi le mérite immortel d’avoir
rétabli le christianisme dans cette terre qui a vu autrefois naître
Augustin, Optat et tant d’autres Pères de l’Eglise. Ce fut un échec
cuisant. On compte moins de 4.000 convertis dans les années 1930, soit
un résultat dérisoire eu égard au temps, à l’énergie et aux finances
investis. Les tentatives de conversion visaient pourtant les individus
les plus vulnérables, produit d’une société profondément démantelée du
fait de la violence coloniale : des enfants orphelins, des veuves, des
malades, des vieillards extrêmement démunis. Dans le cas des adultes,
les motivations étaient d’ordre matériel ; mue par la misère, leur
conversion n’était pas l’aboutissement d’un cheminement spirituel. Les
missionnaires mentionnent du reste assez régulièrement des cas de retour
aux pratiques de l’islam. La raison principale de cet échec est
l’ignorance profonde des missionnaires à l’égard de la religion
musulmane, ignorance qui découle de leurs présupposés idéologiques. Le
constat ne sera établi que tardivement. Dans un texte daté de 1932, le
Père Marchal reconnaît l’impossibilité d’opérer des conversions directes
en pays musulman, car, contrairement à l’animisme dans les pays
d’Afrique noire, la religion s’appuie ici sur le monothéisme et la
Bible…
Article publié sur Zaman France (23 mars 2012).
Mots clés : Alger, Christianisation, musulman, colonisation, Islam des mondes.
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