par Seyfeddine Ben Mansour
Les Tatars : Musulmans dans la République de Pologne » est le titre
d’une exposition organisée à Tunis sous les auspices de l’ambassade
polonaise.Elle a été inaugurée le 20 août par Tomasz Miskiewicz, imam de
Bialystok et grand mufti de Pologne. Par ce geste symbolique, la
Pologne, qui préside actuellement le Conseil de l’Union européenne,
entend se rapprocher davantage du pays qui a vu naître le printemps
arabe. Avec leurs quelques sept siècles de présence sur le sol polonais,
les Tatars sont sans conteste la plus ancienne communauté musulmane de
l’Europe du nord-est. Peuple turc, les Tatars sont des guerriers
nomades. Ils ont quitté la Mongolie, leur foyer d’origine, aux environs
du XIIIe siècle. Ils font partie de la Horde d’Or (Altın Ordu,
1240-1502), vaste empire musulman turco-mongol gouverné par une dynastie
issue de Gengis Khan. Délaissant l’Asie Centrale et la Crimée, une
partie d’entre eux migrera vers le grand duché de Lituanie et la
Pologne, pays qui payaient tribut au Grand Khan. C’est en effet le roi
polonais d’origine lituanienne Ladislas II Jagellon qui fera venir les
premiers Tatars sur ses terres à la fin du XIVe siècle. Soucieux de
mettre à son service leur légendaire vaillance militaire — les Tatars
sont notamment d’excellents cavaliers —, il leur accordera terres et
privilèges. Braves et loyaux, ils augmenteront en nombre, et verront
leur statut confirmé. Ils se battront ainsi sous l’étendard polonais
lors du siège de Vienne par les Ottomans (1529). Au cours de la bataille
de Parkany en 1683, le colonel tatar Samuel Mirza Krzeczowski sauvera
la vie du roi Jean III Sobieski. En signe de reconnaissance, le
souverain offrira aux Tatars la région de Podlasie. La communauté
musulmane compte alors près de 100.000 individus. Au XVIIe siècle, au
sein de la République des Deux Nations (fédération lituano-polonaise),
la noblesse musulmane tatare a la même position et les mêmes droits que
la noblesse chrétienne, exception faite du droit de vote. A partir du
XVIIIe siècle, les imams sont engagés dans l’armée au même titre et avec
les mêmes droits que leurs homologues chrétiens. Enfin, la Constitution
du 3 mai 1791 garantira l’égalité de tous devant la loi. Entretemps,
les Tatars seront devenus Polonais, au prix, il est vrai, d’une très
forte déculturation. Les quelques traditions culinaires ou
vestimentaires qui subsistent appartiennent au folklore. Mais surtout,
leur parler turc originel a été abandonné dès le XVIe siècle ; au profit
du polonais pour l’aristocratie, du ruthène pour le peuple. Population
quasi-exclusivement masculine, les premiers migrants ont épousé des
Polonaises, dont ils ont souvent adopté le patronyme. Leurs enfants,
bien qu’élevés dans la foi islamique, portaient indifféremment des
prénoms musulmans ou chrétiens. Puissant marqueur identitaire, quoique
symbolique, l’emploi de l’alphabet arabe a pu se maintenir longtemps.
Jusqu’au XIXe siècle en effet, une abondante littérature religieuse —
commentaires du Coran (tafsîr), recueils de hadîths, livres de prières —
rédigée en polonais, était notée au moyen de l’alphabet arabe. Mais
quoique très ancienne, la communauté musulmane tatare de Pologne est
aujourd’hui une communauté moribonde. Si les mosquées tatares qui
subsistent ne se distinguent des églises rurales que par les croissants
qui les ornent, elles sont autrement moins nombreuses : au nombre de
trois, pour quelques 5.000 fidèles. Les Tatars ont pourtant été parmi
les plus vaillants défenseurs de la patrie polonaise, — qui leur doit,
en outre, quelques-uns de ses plus grands noms : le général de cavalerie
Aleksander Romanowicz, la sculptrice Magdalena Abakanowicz, ou encore
le prix Nobel de littérature Henryk Sienkiewicz.
Mots clés : Pologne, Tatares, Islam des mondes.

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