par Seyfeddine Ben Mansour
Depuis le 21 février, date de sa prise par les insurgés, un Conseil
révolutionnaire se réunit quotidiennement dans la Katiba, ex-caserne de
Kadhafi située à Benghazi, et devenue une véritable Bastille. Au centre
des discussions, la libération de Tripoli. Car Benghazi n’a pas vocation
à remplacer la capitale : quelle que soit leur appartenance tribale ou
sociale, les révolutionnaires Libyens sont très attachés à l’unité de
leur pays. Symbole de cette unité, le drapeau de la monarchie senoussie
(1951-1969) qui fleurit un peu partout, à mesure que le pays se libère.
Il se compose de trois bandes horizontales. La bande supérieure est
rouge et symbolise la région du Fezzan (sud-ouest du Sahara libyen),
celle inférieure est verte et symbolise la Tripolitaine (nord-ouest du
pays). Entre les deux, l’ancienne bannière de la confrérie religieuse (tarîqa)
senoussie, dont est issue la Maison royale de Libye. Noire, frappée
d’un croissant et d’une étoile blancs, elle rappelle son attachement à
l’Empire, dont la Libye a été une province jusqu’en 1912 (Vilayet-i Trablusgarp).
Cette bande est aussi le symbole de la Cyrénaïque (moitié est du pays),
région dont est originaire Sayyid Muhammad Ibn ‘Alî al-Sanûsî
(1791-1859), le fondateur de la confrérie senoussie (al-Sanûsiyya).
Car historiquement, c’est bien cet ordre religieux qui est à l’origine
de l’unité libyenne, qui a fait de cet agrégat de tribus une nation.
Seule, il avait l’autorité morale pour, à l’orée du siècle dernier,
fédérer les grandes tribus Warfala, Megarha, Kadhafa, Zouaya et Touareg
contre l’occupant italien (1912-1943). Le 24 juillet 1923, la
promulgation du traité de Lausanne consacrait la défaite ottomane. Pour
ces autochtones anciennement soumis à la Sublime porte, cette défaite
était la leur, celle des musulmans. Un an plus tard, du fait de
l’abolition du califat, c’est le nom du roi Victor-Emmanuel III qui
remplacera celui du sultan Abdülhamid dans l’invocation rituelle de la
prière du vendredi… Depuis une décennie déjà, la résistance à l’occupant
avait commencé, conduite par Sayyid Ahmad al-Sharîf al-Sanûsî, chef de
la confrérie senoussie (1873-1933). A partir de la Cyrénaïque, il avait
pris la direction des opérations, au nom du Calife, aidé militairement
par des officiers ottomans réfugiés à l’intérieur du pays, et
financièrement par un Comité organisé par le prince égyptien ‘Umar
Tusûm. Dès novembre 1914, le Fezzan, soit plus du quart du pays, sera
repris. Vers le 15 décembre, sous la pression des troupes fédérées par
les Senoussis, les détachements italiens de Ghadamès et Sinaoun sont
contraints de se replier sur les garnisons françaises de l’Algérie
voisine. En 1916, les Italiens ne contrôlent plus guère que les villes
côtières. Ce n’est qu’à la faveur d’un accord italo-britannique de 1916,
auquel se joindra un an plus tard la France, qu’une action efficace
pourra être menée contre les Senoussis à la frontière égypto-libyenne.
Les hostilités continueront néanmoins : entre Libyens et Italiens en
Cyrénaïque et en Tripolitaine ; entre forces senoussies et forces
françaises d’Algérie au Fezzan. Hélas, la défaite germano-ottomane de
1918 prive les Libyens d’un appui précieux. Contraints de renoncer à la
guerre régulière, mais déterminés à obtenir leur indépendance, les
combattants senoussis se rabattront sur la lutte de guérilla. S’y
illustrera notamment ‘Umar al-Mukhtâr, qui prendra la tête des tribus de
la résistance à partir de 1922, conformément au vœu de Sayyid Muhammad
Idrîs al-Sanûsî, investi roi en avril par les chefs de tribus réunis à
Syrte. ‘Umar al-Mukhtâr mourra en héros le 16 septembre 1931. Il incarne
depuis cette unité libyenne qui, deux décennies plus tard, allait
prendre une forme institutionnelle : le 24 décembre 1951, Idrîs Ier,
arrière-petit-fils du fondateur de la confrérie senoussie, accède au
trône de Libye.
Mots clés : Islam des mondes.
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