mardi 8 juillet 2014

A Mayotte, la République applique le droit musulman

 par Seyfeddine Ben Mansour

L’annonce a été faite officiellement le 1er mars : l’île de Mayotte deviendra à compter du 31 mars prochain le 101e département français et le cinquième d’outre-mer. Mayotte est l’une des quatre îles qui constituent les Comores. Situées dans l’Océan indien, à mi-distance entre l’Est africain et le Nord de Madagascar, al-Qumr, de leur nom arabe, sont gagnées à l’islam dans la seconde moitié du XVe siècle, avec l’arrivée de la dynastie arabo-irano-bantoue des Shîrâzis, venue de la côte nord-est de l’Afrique. Colonisées par la France en 1841, les Comores sont rattachées à Madagascar en 1908. Elles deviennent en 1946 territoire d’outre-mer. En 1976, tandis que les trois autres îles Comores accèdent à l’indépendance, Mayotte choisit de rester française, à 99,4%. Après avoir été tour à tour territoire d’outre-mer, collectivité territoriale et collectivité départementale, Mayotte doit devenir un département à part entière : le seul de la République dont la population soit à 95 % musulmane. Mais la spécificité la plus remarquable de Mayotte est sans doute ailleurs : l’existence de juges musulmans ou «cadis» (qâdhî), fonctionnaires de l’Etat français, chargés de l’application de certaines dispositions de la sharî'a. Comme dans le cas de l’Alsace-Moselle ou de Wallis-et-Futuna, le régime législatif de l’île est donc fortement dérogatoire par rapport au droit commun. Les Mahorais, citoyens de la République française originaires de Mayotte et musulmans sunnites de rite shâfi’ite, sont en effet soumis à un droit civil de statut local dont la composante essentielle est le droit coranique (fiqh). Si, comme le précise un document de synthèse officiel datant de janvier 2009, «toute nouvelle union polygame sera interdite» à compter du 31 mars 2011, pour autant «ces mesures ne porteront pas atteintes aux situations en cours». Autrement dit, les unions polygames contractées avant cette date continueront d’être reconnues par l’État. Selon les chiffres de la Caisse d’allocations familiales locale, la polygamie (strictement interdite dans des pays musulmans tels que la Turquie ou la Tunisie) concerne 15 % des hommes à Mayotte. Comme dans les autres Comores, ces juridictions cadiales ont été installées entre les XIVe et XVIe siècles. En prenant possession de l’île, la République les a maintenues. Outre leur fonction juridictionnelle, les cadis sont également notaires et officiers d’état-civil. Ce sont des magistrats compétents pour trancher les litiges, authentifier des actes et donner un avis en tant que notable religieux. Leur activité judiciaire les amène à recevoir des prestations de serment, ou à rendre des jugements. Leur activité notariale les conduit à régler les successions ou à recevoir les actes de vente. Leur fonction leur permet de tenir l’état civil des Mahorais ayant conservé leur statut personnel (naissance, tutelle, mariage, reconnaissance d’enfants, divorce, répudiation, décès), auquel ils sont très attachés ; ils le perçoivent comme intangible et constitutif de leur identité. Le droit mahorais intègre en effet des éléments de coutume africaine et malgache, tout en étant essentiellement fondé sur le fiqh shâf’ite, et plus précisément, sur le Minhâj al-Tâlibîn.(«Livre des croyants zélés»), recueil d’aphorismes et de préceptes fondés sur la sharî’a, écrit au XIIIe siècle par al-Nawawî, juriste damascène de rite shafi’ite. Outre le Grand cadi de Mayotte, degré supérieur de juridiction, l’île comporte quinze tribunaux cadiaux, composés chacun d’un cadi et d’un secrétaire greffier (‘adûl). Depuis la loi du 11 juillet 2001 néanmoins, les cadis ont cessé d’avoir une fonction juridictionnelle. Leur rôle est désormais recentré sur la médiation, la conciliation et l’assistance des magistrats de droit commun. Ces derniers peuvent ainsi se prononcer en tenant compte des règles de droit local.

Article publié sur Zaman France (11 mars 2011).

Mots clés : France, Madagascar, Turquie, Comores, Afrique, Nord, Alsace, océan Indien, Perses, chirazi, Shîrâzis, territoire d’outre-mer, colonisation, collectivité territoriale, département, collectivité départementale, droit, mahorais, charia, sharî’a, Minhâj al-Tâlibîn, qâdhî, cadi, droit coranique, fiqh, an-Nawawî, Islam des mondes.


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