par Seyfeddine Ben Mansour
L’annonce a été faite officiellement le 1er mars : l’île de Mayotte deviendra à compter du 31 mars prochain le 101e
département français et le cinquième d’outre-mer. Mayotte est l’une des
quatre îles qui constituent les Comores. Situées dans l’Océan indien, à
mi-distance entre l’Est africain et le Nord de Madagascar, al-Qumr, de leur nom arabe, sont gagnées à l’islam dans la seconde moitié du XVe
siècle, avec l’arrivée de la dynastie arabo-irano-bantoue des Shîrâzis,
venue de la côte nord-est de l’Afrique. Colonisées par la France en
1841, les Comores sont rattachées à Madagascar en 1908. Elles deviennent
en 1946 territoire d’outre-mer. En 1976, tandis que les trois autres
îles Comores accèdent à l’indépendance, Mayotte choisit de rester
française, à 99,4%. Après avoir été tour à tour territoire d’outre-mer,
collectivité territoriale et collectivité départementale, Mayotte doit
devenir un département à part entière : le seul de la République dont la
population soit à 95 % musulmane. Mais la spécificité la plus
remarquable de Mayotte est sans doute ailleurs : l’existence de juges
musulmans ou «cadis» (qâdhî), fonctionnaires de l’Etat
français, chargés de l’application de certaines dispositions de la
sharî'a. Comme dans le cas de l’Alsace-Moselle ou de Wallis-et-Futuna,
le régime législatif de l’île est donc fortement dérogatoire par rapport
au droit commun. Les Mahorais, citoyens de la République française
originaires de Mayotte et musulmans sunnites de rite shâfi’ite, sont en
effet soumis à un droit civil de statut local dont la composante
essentielle est le droit coranique (fiqh). Si, comme le précise
un document de synthèse officiel datant de janvier 2009, «toute
nouvelle union polygame sera interdite» à compter du 31 mars 2011, pour
autant «ces mesures ne porteront pas atteintes aux situations en cours».
Autrement dit, les unions polygames contractées avant cette date
continueront d’être reconnues par l’État. Selon les chiffres de la
Caisse d’allocations familiales locale, la polygamie (strictement
interdite dans des pays musulmans tels que la Turquie ou la Tunisie)
concerne 15 % des hommes à Mayotte. Comme dans les autres Comores, ces
juridictions cadiales ont été installées entre les XIVe et XVIe
siècles. En prenant possession de l’île, la République les a
maintenues. Outre leur fonction juridictionnelle, les cadis sont
également notaires et officiers d’état-civil. Ce sont des magistrats
compétents pour trancher les litiges, authentifier des actes et donner
un avis en tant que notable religieux. Leur activité judiciaire les
amène à recevoir des prestations de serment, ou à rendre des jugements.
Leur activité notariale les conduit à régler les successions ou à
recevoir les actes de vente. Leur fonction leur permet de tenir l’état
civil des Mahorais ayant conservé leur statut personnel (naissance,
tutelle, mariage, reconnaissance d’enfants, divorce, répudiation,
décès), auquel ils sont très attachés ; ils le perçoivent comme
intangible et constitutif de leur identité. Le droit mahorais intègre en
effet des éléments de coutume africaine et malgache, tout en étant
essentiellement fondé sur le fiqh shâf’ite, et plus précisément, sur le Minhâj al-Tâlibîn.(«Livre des croyants zélés»), recueil d’aphorismes et de préceptes fondés sur la sharî’a,
écrit au XIIIe siècle par al-Nawawî, juriste damascène de rite
shafi’ite. Outre le Grand cadi de Mayotte, degré supérieur de
juridiction, l’île comporte quinze tribunaux cadiaux, composés chacun
d’un cadi et d’un secrétaire greffier (‘adûl). Depuis la loi du 11
juillet 2001 néanmoins, les cadis ont cessé d’avoir une fonction
juridictionnelle. Leur rôle est désormais recentré sur la médiation, la
conciliation et l’assistance des magistrats de droit commun. Ces
derniers peuvent ainsi se prononcer en tenant compte des règles de droit
local.
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