par Seyfeddine Ben Mansour
Le
4 octobre dernier prenait fin la semaine culturelle organisée par le
Collectif des Mourides de France, l’une des structures de la diaspora
sénégalaise d’obédience mouride. La murîdiyyaou « mouridisme », confrérie soufie du sunnisme négro-africain, naît au XIXes
dans le contexte d’une conversion massive à l’islam des Wolofs, ethnie
qui représente aujourd’hui près de la moitié des Sénégalais. Les
mourides, majoritairement wolofs, constituent aujourd’hui un tiers de la
population d’un pays musulman à 90 %. Ils se réclament d’un guide
spirituel commun, d’un marabout, le « khalife » mouride, descendant
direct du fondateur de la confrérie, Amadou Bamba, qu’ils révèrent comme
un saint (walî). En principe, l’islam est une religion qui ne suppose
aucun intermédiaire entre Dieu et ses créatures. Historiquement
néanmoins, l’ascétisme (zuhd) y apparaît dès la fin VIIesiècle – avec notamment les premières agglomérations monastiques au VIIIeà ‘Abbadân en Irak – et conduit à partir du Xesiècle
au culte des saints. Le phénomène du maraboutisme en est l’expression
en Afrique blanche et, comme ici, dans l’Afrique subsaharienne. La
caractéristique du mouridisme est d’être né à la faveur de la
conjonction de deux phénomènes a priori distincts : d’une part,
le contexte sociopolitique né de la colonisation du Sénégal, de
l’autre, l’expérience mystique, d’abord individuelle, d’un homme qui,
très vite, se signalera à l’attention des fidèles par sa piété, sa
science et ses œuvres.
Un message subversif pour le colonisateur
Ahmadou
Bamba, de son nom arabisé Ahmad Ibn Muhammad Ibn Habîb Allâh, dit
« Khâdim al-Rasûl » (« Serviteur du Prophète »), sera arrêté et exilé à
deux reprises par les autorités coloniales françaises sur la base de
simples présomptions de « guerre sainte. » Il passera ainsi près de
douze années de sa vie en exil (de 1894 à 1902, puis de 1902 à 1906).
Pourtant, le rapport de l’administrateur colonial Valzi, peu
soupçonnable de complaisance, le décrit comme étant « un homme de rêve,
un ascète perdu dans ses contemplations »… Son « attitude, ses
agissements, et surtout ceux de ses principaux élèves » étaient
néanmoins jugés suspects par le pouvoir colonial qui ne pouvait
« tolérer un Etat dans l’Etat », et qui s’inquiétait du nombre
impressionnant d’offrandes et de visites que le marabout recevait.
Ahmadou Bamba a été, en effet, à son corps défendant, « érigé en
représentant du sentiment de l’ancienne indépendance. » Le succès de la tarîqa(confrérie) qu’il avait fondée sur la base de la qâdiriyya – confrérie née en Iran au XIesiècle
– avait en effet pris une coloration nettement nationaliste dans cette
partie de l’Afrique-Occidentale française. Sans s’en rendre compte, il
avait exprimé les conditions sociales et les besoins de son époque. Le
rapport au monde qu’il proposait, à travers sa vie exemplaire, répondait
à une tension, à une crise : la destruction de la société
traditionnelle et l’effritement de ses valeurs. Si son message – la
réhabilitation de l’islam – a pu être perçu comme « subversif » pour le
colonialisme d’alors, c’est parce qu’il venait offrir un facteur de
résistance et de cohésion sociale à des groupements négro-africains
ébranlés par le choc de la pénétration européenne. Son jihâdpourtant était celui des mystiques : « Maintenant, mes amis, il faut faire la guerre sainte aux âmes » écrit-il dans son Maghâliq al-nîrân(« Les clefs qui ferment l’Enfer [et ouvrent le Paradis] »), l’une des quelques vingt brochures qu’il a rédigées, aux cotés de La barque de la confiance ou des Jardins de la vertu,
notamment. On lui doit également plus de 20.000 vers, également en
langue arabe, à la gloire de Dieu et à la louange de Son Prophète.
Mots clés : Islam des mondes.
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