mercredi 9 juillet 2014

L’interdit de l’image a enrichi l’art islamique

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 7 octobre dernier, la chaîne privée tunisienne Nessma a diffusé Persepolis, un dessin animé franco-iranien réalisé par Marjane Satrapi. Une scène du film particulièrement a provoqué une vive polémique qui a dégénéré en violence : Dieu y était en effet représenté sous la forme d’un vieillard à barbe blanche. Nombre de Tunisiens y ont vu un blasphème ; « Il n’y a rien qui Lui ressemble » affirme le Coran (XLII : 11). Si, en islam, le statut de la représentation peut varier – dans l’espace et dans le temps, d’une branche à l’autre (sunnisme / chiisme), d’un domaine à l’autre (sacré / profane) – la représentation de Dieu, elle, ne souffre aucune exception : elle est proscrite. Elle ressortit au principe selon lequel un esprit fini ne saurait, par définition, assigner une forme à l’Etre parfait. Le Dieu unique est aussi un Dieu sans images. Monothéisme épuré, l’islam s’oppose à l’idolâtrie et au polythéisme, formes répandues dans l’Arabie anté-islamique, et que le Coran condamne d’un même mouvement : entrant dans la Kaaba dix ans après l’Hégire (622), le Prophète détruira les 360 idoles qu’elle abritait. Ainsi la figuration en islam est-elle d’emblée frappée de suspicion : inutile comme support de la croyance, elle risque au surplus d’en éloigner le fidèle. L’interdiction touche essentiellement le domaine du sacré, et est limitée aux formes représentant des êtres qui respirent : humains et animaux. En représentant des formes auxquelles Dieu peut insuffler la vie, celui qui dessine (musawwar, en arabe) fait preuve d’une immodestie blasphématoire vis-à-vis de son Créateur, de Celui qui donne forme, al-Musawwar, autre sens du mot, et un des 99 attributs de Dieu. Le décor sculpté des façades du palais omeyyade de Mushattâ en Jordanie (744) est, à cet égard, très instructif. L’édifice, dont l’ordonnance est homogène, comporte en effet un espace sacré : la mosquée, et un espace profane : la demeure du prince. Tandis que la première n’arbore que des motifs floraux, la seconde y ajoute des animaux, des monstres, et même de petits personnages, figures qui représentent donc des êtres qui respirent…

Une gerbe de feu à la place des prophètes

Ces fortes contraintes qui pèsent sur la figuration limiteront le développement de cette dernière, même dans le domaine du profane. La sculpture est ainsi quasi absente. La chose a néanmoins été une « chance » pour l’art islamique, « un puissant stimulant », comme le souligne l’historien de l’Art Jean-François Clément, à l’origine du développement de l’abstraction géométrique et de la calligraphie, fondant ainsi une esthétique originale d’un grand raffinement. La figuration artistique se sera néanmoins développée, quoique hors du domaine arabe, qui ne connaissait que la figuration scientifique (illustration de traités). Liée au mécénat aristocratique, elle se développera dans le domaine persan, puis turc et indien, les souverains ottomans et moghols prenant en modèle l’Iran. Il s’agit essentiellement de miniatures ornant des livres somptueux, à caractère historique, littéraire, voire scientifique. Ils sont produits du XIIe au XIVe siècles dans les kitâb khâna ou « ateliers du livre. » Les scènes constituent pour l’essentiel une évocation de la vie quotidienne des cours, et notamment les situations qui composent les plaisirs princiers. Elles n’excluent pas pour autant la peinture de scènes religieuses. Les prophètes y étaient ainsi représentés, au fil des siècles, la tête entourée d’un nimbe de flammes d’or, puis derrière un voile protecteur, avant de disparaître, symbolisés seulement par une gerbe de feu ; dans les manuscrits cachemiris du XIXe siècle, leurs silhouettes ne sont plus que flammes d’or.

Article publié sur Zaman France (27 octobre 2011).

Mots clés : Islam des mondes.

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