par Seyfeddine Ben Mansour
Le 7 novembre dernier, le voile qui recouvre la Kaaba a été changé. Il
en est ainsi chaque année hégirienne, le 10 dhû al-hijja, dernier mois
du calendrier lunaire. Cet usage s’est peu à peu institué dès les
premiers temps de l’islam, remplaçant les dates du 10 muharram et du 1er
shawwâl (fête de la rupture du jeûne), en usage sous le règne de
Mu‘âwiya Ier, premier calife omeyyade (661-680), ou encore le mois de
rajab, et le jour de ‘Âshûrâ’, sous les premiers califes. Dans sa forme
actuelle, le voile de la Kaaba (kiswa) est un ensemble
constitué de cinq pièces de soie noire d’une surface totale d’environ
660 m2. Elle est recouverte de broderies au fil d’or – environ 150 kg
sont nécessaires à leur confection – qui dessinent, en calligraphie du
type thuluth, la profession de foi, ainsi que des versets du
Coran, notamment ceux de la sourate de la Pureté. La couleur noire de ce
voile, aujourd’hui si caractéristique, date du règne du calife
abbasside an-Nâsir, à la fin du XIIe siècle. Il l’a substituée au vert,
mais aussi au rouge et blanc en usage sous al-Ma’mûn (813-833). Le fait
de couvrir la Kaaba est presque aussi ancien que l’édifice lui-même, et
remonte donc à l’époque antéislamique (Jâhiliyya) où ce Temple abritait
des idoles. On attribue l’institution de cet usage au roi yéménite de
confession juive As‘ad Abî Karib, vers la fin du IVe siècle. Il
s’agissait alors de contrer l’influence grandissante du christianisme
dans la région, venu de l’Abyssinie (Ethiopie) toute proche. Les clans
les plus puissants de la Mecque se seront, à sa suite, succédé dans
l’accomplissement de ce rite source d’un grand prestige. Des chefs
d’autres tribus y contribuaient plus modestement en apportant des pièces
de tissu.
Le symbole de la magnificence califale
Le symbole de la magnificence califale
Aux
premiers temps de l’islam, les Quraysh, encore maîtres de la Mecque,
refuseront que les musulmans participent à couvrir la Kaaba. Pourtant,
en 630, lorsque la ville devient musulmane, l’action du Prophète visera
essentiellement le contenu de l’édifice : l’ensemble des idoles seront
ainsi détruites. C’est à la faveur d’un accident – une femme y brûle de
l’encens et déclenche un incendie – que le Prophète fait recouvrir la
Kaaba avec des vêtements faits de tissu yéménite. Le rite préislamique
sera donc conservé, mais désormais l’intention et l’hommage seront
tournés vers Dieu l’Unique. Les successeurs immédiats du Prophète feront
montre de la même humilité : les califes Abû Bakr, Omar et Othmân
opteront pour le qubti (« copte »), un mince tissu blanc
fabriqué en Egypte. Mais très vite, le voile de la Kaaba deviendra un
symbole de pouvoir, une manière pour les souverains d’affirmer leur
magnificence. Le droit de faire tisser des étoffes était, au reste, en
lui-même, un privilège de souveraineté, au même titre que la frappe des
monnaies. Et au bas de la kiswa, parmi les versets, est brodé
le nom du prince ; aujourd’hui, celui de « ‘Abd Allâh Ibn ‘Abd al-‘Azîz
Âl Sa‘ûd, serviteur des Deux Lieux Saints. » Après les Omeyyades, les
Abbassides et les Ayyoubides, l’honneur reviendra aux Ottomans. De même,
affirmant son autonomie face un Empire déclinant, le vice-roi d’Egypte
Muhammad ‘Alî Bâshâ (1804-1849) fera de la confection et de la cérémonie
de la kiswa une prérogative nationale. Il n’est pas jusqu’aux kiswa-s
usagées, qui, découpées en morceaux, ne soient source de pouvoir
symbolique : aujourd’hui, l’Etat saoudien les offre à des personnalités
choisies, ou en décore ses bâtiments consulaires ; autrefois, le calife
Omar les distribuaient aux pèlerins, afin qu’ils se protègent de
l’ardeur du soleil.
Mots clés : Égypte, Éthiopie, Azîz Âl Sa, Kaaba, Arabie, hajj, 188, Islam des mondes.
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