mercredi 9 juillet 2014

Et le voile de la Kaaba devint un symbole du pouvoir

par Seyfeddine Ben Mansour

Le 7 novembre dernier, le voile qui recouvre la Kaaba a été changé. Il en est ainsi chaque année hégirienne, le 10 dhû al-hijja, dernier mois du calendrier lunaire. Cet usage s’est peu à peu institué dès les premiers temps de l’islam, remplaçant les dates du 10 muharram et du 1er shawwâl (fête de la rupture du jeûne), en usage sous le règne de Mu‘âwiya Ier, premier calife omeyyade (661-680), ou encore le mois de rajab, et le jour de ‘Âshûrâ’, sous les premiers califes. Dans sa forme actuelle, le voile de la Kaaba (kiswa) est un ensemble constitué de cinq pièces de soie noire d’une surface totale d’environ 660 m2. Elle est recouverte de broderies au fil d’or – environ 150 kg sont nécessaires à leur confection – qui dessinent, en calligraphie du type thuluth, la profession de foi, ainsi que des versets du Coran, notamment ceux de la sourate de la Pureté. La couleur noire de ce voile, aujourd’hui si caractéristique, date du règne du calife abbasside an-Nâsir, à la fin du XIIe siècle. Il l’a substituée au vert, mais aussi au rouge et blanc en usage sous al-Ma’mûn (813-833). Le fait de couvrir la Kaaba est presque aussi ancien que l’édifice lui-même, et remonte donc à l’époque antéislamique (Jâhiliyya) où ce Temple abritait des idoles. On attribue l’institution de cet usage au roi yéménite de confession juive As‘ad Abî Karib, vers la fin du IVe siècle. Il s’agissait alors de contrer l’influence grandissante du christianisme dans la région, venu de l’Abyssinie (Ethiopie) toute proche. Les clans les plus puissants de la Mecque se seront, à sa suite, succédé dans l’accomplissement de ce rite source d’un grand prestige. Des chefs d’autres tribus y contribuaient plus modestement en apportant des pièces de tissu.

Le symbole de la magnificence califale
 
Aux premiers temps de l’islam, les Quraysh, encore maîtres de la Mecque, refuseront que les musulmans participent à couvrir la Kaaba. Pourtant, en 630, lorsque la ville devient musulmane, l’action du Prophète visera essentiellement le contenu de l’édifice : l’ensemble des idoles seront ainsi détruites. C’est à la faveur d’un accident – une femme y brûle de l’encens et déclenche un incendie – que le Prophète fait recouvrir la Kaaba avec des vêtements faits de tissu yéménite. Le rite préislamique sera donc conservé, mais désormais l’intention et l’hommage seront tournés vers Dieu l’Unique. Les successeurs immédiats du Prophète feront montre de la même humilité : les califes Abû Bakr, Omar et Othmân opteront pour le qubti (« copte »), un mince tissu blanc fabriqué en Egypte. Mais très vite, le voile de la Kaaba deviendra un symbole de pouvoir, une manière pour les souverains d’affirmer leur magnificence. Le droit de faire tisser des étoffes était, au reste, en lui-même, un privilège de souveraineté, au même titre que la frappe des monnaies. Et au bas de la kiswa, parmi les versets, est brodé le nom du prince ; aujourd’hui, celui de « ‘Abd Allâh Ibn ‘Abd al-‘Azîz Âl Sa‘ûd, serviteur des Deux Lieux Saints. »  Après les Omeyyades, les Abbassides et les Ayyoubides, l’honneur reviendra aux Ottomans. De même, affirmant son autonomie face un Empire déclinant, le vice-roi d’Egypte Muhammad ‘Alî Bâshâ (1804-1849) fera de la confection et de la cérémonie de la kiswa une prérogative nationale. Il n’est pas jusqu’aux kiswa-s usagées, qui, découpées en morceaux, ne soient source de pouvoir symbolique : aujourd’hui, l’Etat saoudien les offre à des personnalités choisies, ou en décore ses bâtiments consulaires ; autrefois, le calife Omar les distribuaient aux pèlerins, afin qu’ils se protègent de l’ardeur du soleil.

Article publié sur Zaman France (10 novembre 2011).

Mots clés : Égypte, Éthiopie, Azîz Âl Sa, Kaaba, Arabie, hajj, 188, Islam des mondes.

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