par Seyfeddine Ben Mansour
Un monument dédié à l’amitié turco-arménienne est en cours de démolition
à Kars depuis le 23 avril. Le 24 avril, le président Obama a rendu
hommage aux victimes arméniennes de la Première guerre mondiale,
évoquant l’une des « grandes atrocités du XXe siècle », mais se gardant
d’employer le terme de génocide.
Loin de ce rapport duel entre Turcs musulmans et Arméniens chrétiens, volontiers mis en exergue, il existe une communauté oubliée qui, par définition, le nie : les Arméniens musulmans du Hamchen ou Hémichis (Hemşinli). Présents en Arménie (environ 10.000), en Géorgie et en Russie (où subsistent des groupes chrétiens), ainsi qu’en Asie centrale, c’est néanmoins en Turquie que les Hémichis sont les plus nombreux : entre 120.000 et 230.000 selon les estimations. Seule une minorité a conservé l’arménien comme langue maternelle (entre 20.000 et 30.000). Il s’agit de la communauté hémichie de la province d’Artvin (Hémichis de l’est), qui parle le homchetsma, un dialecte arménien archaïque appartenant au groupe occidental. Les Hémichis de l’ouest (province de Rize), les plus nombreux, ont pour langue maternelle une variante ethnico-régionale du turc, dans laquelle l’influence de l’arménien est très nette (vocabulaire, accent, structure des phrases). Mais les différences entre les deux groupes ne s’arrêtent pas là. Ainsi le port du foulard traditionnel, encore en usage à Rize, est-il tombé en désuétude à l’est. Plus généralement, bien qu’ayant perdu l’usage de l’arménien, les Hémichis de l’ouest sont parvenus à préserver leur spécificité ethnoculturelle, tout en assumant pleinement leur identité de Turcs sunnites. Ils sont ainsi globalement plus éduqués que leurs frères de l’est, beaucoup d’entre eux étant d’ailleurs parvenus à de hautes fonctions. Parallèlement, ils continuent de pratiquer un riche répertoire de danses traditionnelles arméniennes, et célèbrent Vartevor, une fête d’origine païenne, caractérisée notamment par la consommation d’alcool et les danses mixtes au son de la cornemuse. Certes, contrairement à ceux de Hopa à l’est, les Hémichis de Rize vivent toujours dans leur foyer originel, le Hamchen historique, entre la chaîne montagneuse du Pont au sud et la mer Noire au nord, depuis douze siècles. En 790 en effet, fuyant l’avancée des armées arabes, Shabuh Amatumi, son fils Hamam, ainsi que 12.000 de leurs sujets abandonnent la province d’Ararat pour la côte sud-est de la Mer Noire. Hamam Amatumi y fonde Hamamachen, capitale de la principauté d’Hamchen, vassale, au gré de l’Histoire, des puissances arménienne, byzantine, géorgienne et turcique. Le nom de Hamchen s’étendra progressivement à l’ensemble de la région qui deviendra ottomane à partir de 1489. La conversion à l’islam date du début du XVIIIe siècle. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, elle ne sera ni totale (1,5 % de Hémichis chrétiens en 1870 encore), ni même absolument sincère : des crypto-chrétiens, appelés Gesges (« moitié-moitié »), continuaient en effet de pratiquer le christianisme à huis clos, tout en professant extérieurement l’islam. Néanmoins, durant l’occupation de la province de Hopa par l’armée russe (guerre russo-turque de 1877-1878), les quelques 200 familles hémichies de la région refusèrent de retourner au christianisme, manifestant ainsi la sincérité de leur foi. De même entre 1916 et 1918, lorsque la région fut de nouveau sous occupation russe : aucun mouvement d’apostasie ne fut constaté, ni parmi les Hémichis, ni parmi les Grecs musulmans…
Loin de ce rapport duel entre Turcs musulmans et Arméniens chrétiens, volontiers mis en exergue, il existe une communauté oubliée qui, par définition, le nie : les Arméniens musulmans du Hamchen ou Hémichis (Hemşinli). Présents en Arménie (environ 10.000), en Géorgie et en Russie (où subsistent des groupes chrétiens), ainsi qu’en Asie centrale, c’est néanmoins en Turquie que les Hémichis sont les plus nombreux : entre 120.000 et 230.000 selon les estimations. Seule une minorité a conservé l’arménien comme langue maternelle (entre 20.000 et 30.000). Il s’agit de la communauté hémichie de la province d’Artvin (Hémichis de l’est), qui parle le homchetsma, un dialecte arménien archaïque appartenant au groupe occidental. Les Hémichis de l’ouest (province de Rize), les plus nombreux, ont pour langue maternelle une variante ethnico-régionale du turc, dans laquelle l’influence de l’arménien est très nette (vocabulaire, accent, structure des phrases). Mais les différences entre les deux groupes ne s’arrêtent pas là. Ainsi le port du foulard traditionnel, encore en usage à Rize, est-il tombé en désuétude à l’est. Plus généralement, bien qu’ayant perdu l’usage de l’arménien, les Hémichis de l’ouest sont parvenus à préserver leur spécificité ethnoculturelle, tout en assumant pleinement leur identité de Turcs sunnites. Ils sont ainsi globalement plus éduqués que leurs frères de l’est, beaucoup d’entre eux étant d’ailleurs parvenus à de hautes fonctions. Parallèlement, ils continuent de pratiquer un riche répertoire de danses traditionnelles arméniennes, et célèbrent Vartevor, une fête d’origine païenne, caractérisée notamment par la consommation d’alcool et les danses mixtes au son de la cornemuse. Certes, contrairement à ceux de Hopa à l’est, les Hémichis de Rize vivent toujours dans leur foyer originel, le Hamchen historique, entre la chaîne montagneuse du Pont au sud et la mer Noire au nord, depuis douze siècles. En 790 en effet, fuyant l’avancée des armées arabes, Shabuh Amatumi, son fils Hamam, ainsi que 12.000 de leurs sujets abandonnent la province d’Ararat pour la côte sud-est de la Mer Noire. Hamam Amatumi y fonde Hamamachen, capitale de la principauté d’Hamchen, vassale, au gré de l’Histoire, des puissances arménienne, byzantine, géorgienne et turcique. Le nom de Hamchen s’étendra progressivement à l’ensemble de la région qui deviendra ottomane à partir de 1489. La conversion à l’islam date du début du XVIIIe siècle. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, elle ne sera ni totale (1,5 % de Hémichis chrétiens en 1870 encore), ni même absolument sincère : des crypto-chrétiens, appelés Gesges (« moitié-moitié »), continuaient en effet de pratiquer le christianisme à huis clos, tout en professant extérieurement l’islam. Néanmoins, durant l’occupation de la province de Hopa par l’armée russe (guerre russo-turque de 1877-1878), les quelques 200 familles hémichies de la région refusèrent de retourner au christianisme, manifestant ainsi la sincérité de leur foi. De même entre 1916 et 1918, lorsque la région fut de nouveau sous occupation russe : aucun mouvement d’apostasie ne fut constaté, ni parmi les Hémichis, ni parmi les Grecs musulmans…
Article publié sur Zaman France (29 avril 2011).
Mots clés : Islam des mondes, Hamamachen, Rize, Kars, mer Noire, Asie centrale, Arménie, Russie, Turquie, Géorgie, Hamam, Shabuh Amatumi, Hopa, du Pont, musulman, minorité.
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