par Seyfeddine Ben Mansour

Un chant partagé par les chiites et les sunnites
Sous sa forme actuelle en effet, le qawwâlî débute par un prélude à l’harmonium dans lequel est chantée une louange à Dieu (hamd) ;
or cet instrument était inconnu avant le XVIIe siècle, époque à
laquelle il a été introduit par les missionnaires portugais. La seconde
partie, appelée na‘t (« description ») consiste en une louange au Prophète. La tradition du na‘t
est fort ancienne. Elle remonte au poète Hassan Ibn Thâbit (m. 674),
qui fut compagnon du Prophète et le premier à chanter ses louanges. Les manâqib
(« vertus ») constituent la troisième partie d’un qawwâlî. Il s’agit de
louanges en l’honneur de ‘Alî Ibn Abî Tâlib, cousin, gendre et
compagnon du Prophète, mais aussi son seul successeur légitime aux yeux
des chiites. Il est à cet égard intéressant de noter que ces manâqib sont chantées tant dans les qawwâlî-s chiites que sunnites. Une quatrième partie, spécifiquement chiite, est appelée marthiya
(« lamentation »). Il s’agit d’une élégie en hommage à la famille de
l’imam Husayn, décimée lors de la bataille de Kerbala en 680. La
dernière partie enfin est, paradoxalement, constituée d’un poème
appartenant à un genre d’essence profane, le ghazal. Il s’agit
d’un genre arabe antéislamique qui remonte au VIe siècle. Il chante les
vertus de l’être aimé, mais aussi son caractère inaccessible et la
douleur suscitée par la séparation. Ces thèmes qui donneront lieu à une
brillante poésie courtoise au IXe siècle, sont, dans le qawwâlî, qui
naît au XIIIe, réinvestis dans un cadre mystique : ils décrivent l’être
qui se languit de sa fusion dans le Divin. L’essentiel de ce répertoire
poétique, comme du genre musical qui lui est lié, est dû à Amîr Khusraw
(1253-1325), le fondateur du qawwalî et l’un des plus grands poètes de
l’Inde comme du monde islamique. Ce Turc de l’Hindoustan, né d’un père
turc et d’une mère indienne, est le plus illustre représentant de
l’émergence de la culture indo-persane dans le nord du sous-continent.
Il aura en effet réussi à fusionner la tradition musicale indienne avec
celle du sema, genre né en Perse au VIIIe siècle, et qui donnera, à
l’Ouest, sous le même nom, la cérémonie dansée des Mevlevi, célèbre
ordre soufi de Turquie. En Inde, au Pakistan comme au Bangladesh, mehfil-i sema est ainsi le nom traditionnel par lequel on désigne aujourd’hui encore une session de qawwâlî.
Mots clés : Islam des mondes.
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